Présentation du rapport sur la traite des êtres humains devant la délégation aux droits des femmes

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Devant la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, j’ai eu l’occasion ce jour de présenter, avec plusieurs de mes collègues, un rapport sur les femmes et les mineur-e-s victimes de la traite des êtres humains.

J’ai souhaité mettre en lumière la question du sort réservé aux femmes migrantes et leurs conditions de vie, à Calais notamment. Il m’est apparu en effet nécessaire de souligner le lien entre la question de la traite et la crise des migrants. Nous avons en outre affirmé que les instances internationales devaient faire preuve d’une vigilance accrue pour faire respecter les droits des femmes dans leur universalité.

Alors même que le Parlement européen a reçu en séance plénière le Haut commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, le débat a porté sur la situation des femmes réfugiées et demandeuses d’asile.

Voici mon intervention devant la délégation :

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Madame la Présidente, mes chers collègues,

En étant la dernière à prendre la parole, je tenais à vous rassurer, ce n’est pas une conclusion. Il est important que ce rapport s’inscrive dans le continuum du travail global de réflexion. Nous serons ainsi forces de proposition sur un sujet d’importance dans une période de régression, voire de menaces.

La crise migratoire actuelle a des conséquences sur la traite des êtres humains. En effet, tous les éléments sont réunis pour favoriser l’expansion des réseaux de traite : nous sommes en présence de populations généralement jeunes, démunies, en situation de vulnérabilité extrême, souvent cachées qui fuient souvent les services administratifs ou policiers qui pourraient entraver leur périlleux parcours vers le pays où elles espèrent trouver refuge et travail.

Si la traite des êtres humains et le trafic illicite de migrants sont deux phénomènes juridiquement distincts, comme le souligne le rapport, on ne peut ignorer la porosité qui existe entre les deux notions, qui a d’ailleurs été soulignée par les ambassadrices Michèle Ramis et Patrizianna Sparacino-Thiellay : la vulnérabilité des migrants peut les faire « tomber » aux mains de réseaux de traite, et il est parfois difficile de distinguer ces deux formes de trafics.

C’est malheureusement ce que nous avons pu constater sur le terrain, au cours d’un déplacement à Calais, le 11  janvier 2016, à l’invitation de France terre d’Asile. Ce lieu, en cours de démantèlement partiel, aux conditions de vie infra-humaines est qualifié « d’enfer » par des migrants en situation d’extrême fragilité.

Le risque de traite des êtres humains est bel et bien une réalité dans les camps, au point que France Terre d’Asile a mis en place à Calais une structure qui leur est dédiée contre la traite des êtres humains, comme le rappelait Brigitte Gonthier-Maurin. Ce risque concerne notamment les femmes et les jeunes filles, qui se retrouvent parfois dans des situations de détresse terrible, comme a pu en témoigner l’association Gynécologie sans frontière.

Autre problème, les victimes de la traite sont particulièrement difficiles à identifier dans la mesure où les migrants se trouvent bien souvent dans une situation clandestine qui leur fait craindre toute démarche officielle pour sortir de la traite.

Dans ce contexte, nous recommandons la création, de toute urgence, des 50 postes de médiateurs culturels prévus par le plan d’action national, des intermédiaires connaissant la langue et la culture des migrants s’avérant essentiels pour gagner leur confiance.

En outre, l’évaluation des personnes en situation de vulnérabilité par l’Office Français de l’Immigration et de l’Intégration (OFII) est aujourd’hui insuffisante dans la mesure où le questionnaire défini à l’arrêté du 23 octobre 2015, sur lequel se basent ses agents, est incomplet. Il ne mentionne qu’un nombre partiel de vulnérabilités limitées à la grossesse, la maladie ou le handicap. Plusieurs catégories de personnes vulnérables ne sont pas visées, parmi lesquelles les victimes de traite, qui ne seront identifiées que si elles font expressément état d’un besoin de prise en charge spécifique.

Cette absence de recherche systématique des victimes de traite parmi les demandeurs d’asile constitue une carence non négligeable dans notre système d’accueil, qui limite très fortement l’identification précoce des victimes potentielles. Nous recommandons donc que soit complété le questionnaire de l’OFII de façon à prévoir des questions relatives à toutes les situations de vulnérabilités visées au deuxième alinéa de l’article L. 744-6 du CESEDA.

S’agissant de la question du traitement des demandes d’admission des victimes de traite, notre déplacement à Nice nous a confortées dans l’idée qu’il faut renforcer la coordination des acteurs pour une instruction plus rapide des dossiers. Nous avons été favorablement impressionnées par le dispositif de coordination des acteurs concourant à la lutte contre la traite des êtres humains mis en place à la préfecture des Alpes‑Maritimes, et nous suggérons que cet exemple soit largement diffusé par le ministère de l’intérieur.

Pour compléter ces propos sur les conséquences de la crise des migrants sur la traite des êtres humains, je souhaiterais également vous faire part des enseignements que j’ai tirés d’un entretien avec plusieurs expertes du Haut-Commissariat aux Réfugiés (HCR) de l’ONU en décembre à Genève :

– La création de « hot spots » où sont enregistrés les migrants dans le pays où ils arrivent a atteint ses limites car il ne s’agit généralement pour eux que d’un pays de transit (voir les migrants arrivant à Calais qui souhaitent à tout prix rejoindre l’Angleterre) ;

– une solution à encourager pourrait être d’essayer de limiter à la source les départs par la répression des trafics dans le cadre de législations nationales plus rigoureuses ;

– les observations de terrain confirment que les migrants sont généralement des hommes, jeunes et célibataires, ensuite rejoints par leur famille, mais de plus en plus souvent accompagnés d’enfants : n’y a-t-il pas là un danger potentiel pour ces derniers ? La presse se fait l’écho de 10 000 mineurs disparus.

– les passeurs se transforment en trafiquants pour diversifier leurs ressources ; Ceci s’ajoute aux trafics d’armes et de drogue.

– une difficulté notable à prendre en compte tient à l’approche différente de la place et du rôle des femmes dans les pays d’origine des migrants. La présentation dans les filières éducatives de nos valeurs, et en particulier à l’importance de l’égalité entre les hommes et les femmes doit leur être dispensée en vue de leur intégration.

Au résumé de notre travail et des propositions faites, je souhaiterais ajouter un point plus général de vigilance qui a été porté à notre attention par l’ambassadrice Patrizianna Sparacino-Thiellay : une tendance de fond au « grignotage » des droits des femmes dans les enceintes internationales serait à l’œuvre, à travers une série de revendications relativistes liées à la religion et à la tradition, y compris au sein du bloc occidental. L’une de nos recommandations appelle donc le Gouvernement à maintenir la vigilance de la diplomatie française dans la défense des droits des femmes au niveau international, afin de lutter contre cette tendance relativiste qui semble remettre en cause l’universalité des droits acquis.


Lien vers le rapport sur la traite

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