« L’homme qui voulait divorcer d’avec la France »

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Un passage au siège de TV5 Monde pour partager, en compagnie de mes collègues et amis Pouria Amirshahi et Joëlle Garriaud Maylam, la nomination dans l’ordre de la Légion d’Honneur du journaliste Pierre Benoit. D’une vie professionnelle débutée à Libération et consacrée au journalisme international et à la francophonie, je retiens de son discours l’idée selon laquelle la France – le mot, sa langue – sont souvent les déclics qui, à l’étranger, suscitent la sympathie et l’attachement. En Amérique latine dans les années 70, en Afrique de l’Ouest, en Europe centrale et orientale après 1990, le souci de ce journaliste formé à la période du « journalisme des années rouges » de se confronter à un monde en mouvement s’est toujours enrichi du bonheur de voir à chaque fois ce que sa nationalité et sa langue pouvaient susciter d’attachement. En même temps, il percevait de Yaoundé à Québec, que le partage d’une langue ne renvoie pas mécaniquement à un espace mental et culturel uniforme, celui d’une France coloniale dont la mémoire aurait du mal à s’éteindre. Et Pierre Benoît d’ajouter : « En même temps que notre langue fonctionne comme un agitateur de particules, elle agit, ou plutôt interréagit dans l’inconscient collectif de tant et tant de peuples à travers le monde ». Ce sentiment je le perçois aussi chez mes interlocuteurs et dans les communautés françaises de l’étranger. La langue permet de se comprendre mais pas nécessairement de comprendre l’autre ce qui a motivé la linguiste que je suis de commencer à enseigner la communication interculturelle il y a près de vingt ans.

De même, je perçois chez certains de mes interlocuteurs le même désir, ou la même crainte, ainsi que l’exprime Pierre Benoît, que l’expatriation ou de trop longs séjours à l’étranger ne conduisent à un « divorce d’avec la France ». Voyager, vivre à l’étranger, c’est éprouver d’autres énergies, d’autres volontés, d’autres cultures qui peuvent en réaction faire percevoir l’Europe – plus encore depuis quelques jours – comme un continent vieux et fatigué qui n’aurait plus rien à apporter au monde. Je ne le crois pas, vraiment pas, mais je comprends ce sentiment de même que le désir pour s’en prémunir de conserver des liens symboliques avec la France. En écoutant Pierre Benoit faire le récit d’une carrière construite dans le rapport à l’Autre, quels ques soient les continents, les langues ou les cultures, je me souviens de ce que le voyageur doit frapper à toutes les portes avant de parvenir à la sienne. Il faut avoir erré dans tous les mondes extérieurs pour atteindre enfin au tabernacle très intime du sien. Alors je me dis que la distinction remise à cet ami contribuera sans doute, à sa façon, à résoudre son divorce d’avec la France en lui rappelant combien nous lui sommes attachés tandis qu’il lui permettra aussi d’achever ses voyages dans les mondes extérieurs.


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