OIF: « la France dicte ! »

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Retrouvez ma réaction à la candidature rwandaise à la tête de l’OIF,  article paru le 11 octobre dans le Nouvel OBS.

Macron a-t-il raison de soutenir le Rwanda pour la tête de la Francophonie?  La France a apporté son soutien à Louise Mushikiwabo, ministre des Affaires étrangères de Paul Kagamé, proche de celui-ci. Une candidature qui divise en raison de l’autoritarisme de son gouvernement.

La Francophonie occupe rarement l’espace médiatique. L’élection de la prochaine secrétaire générale lors du sommet de l’OIF (Organisation internationale de la Francophonie), à Erevan (Arménie), jeudi et vendredi, a pourtant braqué les projecteurs sur cette institution aux contours flous et dont on dit souvent qu’elle est un vestige du passé colonial. Deux femmes s’affrontent pour en prendre la tête : la Canadienne Michaëlle Jean, secrétaire générale sortante, qui s’est maintenue dans la course après que le Canada et le Québec ont annoncé qu’ils ne la soutenaient plus, et la Rwandaise Louise Mushikiwabo, ministre des Affaires étrangères. Celle-ci a reçu l’onction de Paris, dont le poids est déterminant pour se faire élire à la tête de l’organisme, déclenchant de nombreuses oppositions.

Dans une tribune publiée dans « le Monde », quatre anciens ministres français chargés de la Francophonie ont dénoncé une « atteinte à l’image même de notre pays ». Ils estiment tout d’abord que la décision de soutenir la candidature de Louise Mushikiwabo n’a pas été concertée avec les principaux partenaires de l’OIF. Ils regrettent le choix d’un pays qui « n’a cessé de prendre ses distances avec notre langue » au profit de l’anglais. Le français a été remplacé par l’anglais comme langue d’enseignement en 2008. C’est d’ailleurs en anglais que le président du Rwanda, Paul Kagamé, avait annoncé la candidature de sa ministre. Enfin, et surtout, ils accusent Paris d’avoir coopté la ministre des Affaires étrangères d’un pays qui est loin d’avoir fait ses preuves en matière de démocratie et de droits de l’homme.

A l’Elysée, on justifie :

« C’est une candidature portée par l’Union africaine, une candidate de l’Afrique. Il nous semble cohérent de remettre ce continent au centre de la Francophonie. »Contrairement à la précédente élection pour laquelle les pays africains n’avaient pas réussi à se mettre d’accord, l’Union africaine, lors de son sommet à Nouakchott, le 2 juillet, avait annoncé son soutien collectif en faveur de Louise Mushikiwabo. « Cette candidature a rassemblé un consensus africain en quelques semaines. Nous avons pris en compte la rapidité et la solidité de ce consensus. C’est une bonne nouvelle », s’est félicité l’entourage d’Emmanuel Macron qui souligne que le plurilinguisme au Rwanda [le français, langue du colonisateur belge, reste une des trois langues officielles du pays, aux côtés du kinyarwanda et du kiswahili, mais n’est parlé que par 5,6% de la population, NDLR], loin d’être un handicap, « illustre parfaitement » la politique inclusive du président français.

« La France dicte »

Hélène Conway-Mouret, ancienne ministre déléguée aux Affaires étrangères, chargée des Français établis hors de France entre 2012 et 2014, est l’une des signataires de la tribune. « Nous avons souhaité exprimer notre agacement vis-à-vis de l’attitude de la France, très péremptoire, qui a décidé de façon unilatérale de soutenir la candidature rwandaise sans en discuter avec ses partenaires africains », assure-t-elle précisant qu’elle n’est pas opposée à la personnalité de Louise Mushikiwabo.

Selon elle, contrairement aux affirmations de l’Elysée, la pilule passe mal auprès de certains gouvernements de pays d’Afrique de l’Ouest. « On a l’impression d’un retour en arrière dans la façon dont se comporte Paris avec l’Afrique. On semble passer d’une relation basée sur un partenariat à ‘la France dicte' », souligne-t-elle. Elle dit avoir reçu de nombreux courriers « d’amis africains » qui s’irritent de ce patronage. « La France a décidé que c’était notre candidate. Tous pensaient que Michaëlle Jean, qui n’avait pas démérité, allait faire un second mandat, comme ses prédécesseurs. Les chefs d’Etat africains n’ont même pas eu le temps de se retourner ! Il n’y a pas eu de débat. Ça aurait été compliqué pour eux de refuser cette candidature : le Rwanda est un pays qui compte sur le continent. »

L’opacité des nominations des secrétaires généraux de l’OIF aux termes de négociations de couloirs n’est pas inédite. Le soutien de la France à telle ou telle candidature a parfois suivi un agenda qui dépassait le cadre de la Francophonie. En 2014, alors que la fronde populaire se faisait de plus en plus forte contre le président burkinabé Blaise Compaoré, l’Elysée lui avait proposé le poste comme porte de sortie. Kako Nubukpo, ancien directeur de la Francophonie numérique et économique à l’OIF, rappelle :

« Emmanuel Macron s’inscrit dans cette longue tradition de choix des secrétaires généraux effectué par le président français. »Il poursuit :

« Je ne comprends pas l’indignation de ces anciens ministres qui ne se sont pas plaints à l’époque où ils étaient en fonction. Mais je comprendrais qu’on souhaite réformer la nomination des secrétaires généraux pour plus de transparence. »Dans une note publiée par la Fondation Jean-Jaurès, l’économiste et Caroline Roussy, docteure en histoire de l’université Paris I-Panthéon Sorbonne, proposent que les candidats soient auditionnés, comme il est d’usage dans le cadre des Nations unies, et qu’un débat projet contre projet ait lieu, « condition d’une élection démocratique ».

Libération de prisonniers

Outre le rôle de la France dans l’organisation de la Francophonie, Hélène Conway-Mouret, tout comme de nombreuses ONG, juge que la candidature rwandaise sacrifie la charte de l’OIF, qui a inscrit « le soutien aux droits de l’homme » parmi ses missions premières, sur l’autel d’une réconciliation entre Paris et Kigali, qui accuse la France d’avoir joué un rôle dans le génocide rwandais. « Paul Kagamé met en prison ses opposants. Il est tout sauf un démocrate ! », dénonce-t-elle. « Nous serons attentifs », répond l’Elysée voyant comme un signe positif la libération opportune de 2.140 prisonniers début septembre.

« Les récentes remises en liberté de prisonniers pourraient être le signe que le Rwanda est en train de tourner la page du passé et d’ouvrir l’espace politique. Mais il faudra plus qu’un geste discrétionnaire spectaculaire pour convaincre le monde qu’il s’agit bien du début d’un changement systémique et réel », met en garde Human Rights Watch, qui appelle le gouvernement rwandais à mettre fin aux exécutions sommaires, aux disparitions forcées, aux arrestations, aux détentions illégales et aux actes de tortures.

Caroline Roussy estime :

« Je comprends les inquiétudes. Mais une démocratie par le bas est en train de se mettre en place au Rwanda. Le pays investit dans l’éducation et la santé. Louise Mushikiwabo est chef de la diplomatie rwandaise depuis dix ans, interprète de formation, à l’aise aussi bien en français qu’en anglais. On peut espérer qu’elle fasse bouger davantage les lignes au Rwanda. »Elle reconnaît cependant : « Il sera compliqué pour elle de demander à être respectueux des processus démocratiques et des droits de l’homme, compte tenu de sa position. Cela étant dit, la secrétaire générale sortante, Michaëlle Jean, n’a jamais rappelé ces principes en quatre ans… »

Sarah Diffalah


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