Brexit : début de l’enregistrement administratif des citoyens européens au Royaume-Uni

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Article paru le 22 janvier dans le Monde par Eric Albert

3,8 millions d’Européens, dont de 200 000 à 300 000 Français, peuvent « régulariser » à partir d’aujourd’hui leur situation dans la perspective de la sortie de l’UE.

Accord sur le Brexit ou pas, les 3,8 millions d’Européens qui vivent au Royaume-Uni vont changer de statut. Eux qui avaient jusqu’à présent le droit automatique de résider et de travailler dans ce pays vont devoir s’enregistrer pour « régulariser » leur situation dans la perspective de la sortie de l’Union européenne (UE).

Lundi 21 janvier, le ministère britannique de l’intérieur ouvre le processus d’enregistrement permettant de demander le settled status (littéralement, statut d’installé), sorte de droit de résidence conçu spécialement pour les Européens vivant outre-Manche.

Symboliquement, l’ouverture du processus est une étape forte, qui hérisse beaucoup de résidents installés de longue date dans le pays. « J’ai rencontré de nombreuses personnes âgées, en particulier, qui vivent depuis quarante ou cinquante ans au Royaume-Uni et qui me disent qu’il n’est pas question qu’elles fassent une demande », explique Nicolas Hatton, fondateur du groupe The 3 Million, qui représente les Européens du Royaume-Uni.

Dans ce contexte, le prix de l’enregistrement, fixé à 65 livres (75 euros), très faible par rapport au coût des visas pour les non-Européens, lui semble une grande erreur. « Le principe choque. On nous demande de payer pour avoir le privilège de rester chez nous. »

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Paradoxe, l’ouverture de cette procédure administrative est prévue par l’accord entre l’UE et le Royaume-Uni, qui vient d’être rejeté par les députés. Que se passera-t-il en cas de sortie brutale de l’UE, le 30 mars, sans accord (no deal) ? Le ministère de l’intérieur affirme qu’il continuera quand même le processus d’enregistrement.

« Dans ces circonstances, ceux qui auront déjà le settled status auront un avantage », précise M. Hatton. Ce statut pourrait, en effet, servir lors de démarches administratives, par exemple pour ouvrir un compte en banque ou pour louer un logement.

Les Français, avec de 200 000 à 300 000 ressortissants vivant au Royaume-Uni (les statistiques exactes sont débattues, puisqu’il n’y avait jusqu’à présent aucune obligation de s’enregistrer), sont concernés par cette nouvelle procédure, dont voici les grands principes.

  • Qui a droit au « settled status » ?

Tous les ressortissants européens qui vivent au Royaume-Uni depuis cinq ans ou plus. Ceux qui sont installés depuis moins longtemps ont le droit à un pré-settled status, qui finira par déboucher sur un statut permanent une fois la période de cinq ans écoulée, même si cette période se termine après le Brexit.

  • Quand faut-il faire la demande ?

L’accord signé entre Londres et Bruxelles prévoit que l’enregistrement se fasse d’ici à la fin de la période de transition, le 31 décembre 2020. En cas de no deal, rien n’est précisé, mais le gouvernement britannique se veut rassurant, promettant que les Européens présents au Royaume-Uni conserveront leurs droits.

  • Comment demander le « settled status » ?

Pour l’instant, la procédure se passe entièrement en ligne (elle sera élargie aux demandes sur papier à partir du 30 mars). Les demandeurs peuvent scanner directement leur passeport depuis un téléphone portable ou une tablette, sans l’envoyer au ministère de l’intérieur. Pour ceux qui n’ont pas de passeport, une carte d’identité est acceptable, mais cela nécessite de l’envoyer.

  • Pourquoi les iPhone sont-ils interdits ?

Les appareils Apple (iPhone, iPad…) ne peuvent pas être utilisés pour s’enregistrer. Seuls ceux fonctionnant avec le système Android sont acceptés. Le ministère britannique de l’intérieur n’y est pour rien. C’est la firme américaine qui bloque, refusant de laisser ses téléphones scanner les puces des passeports, au nom de la protection de la vie privée.

Pour contourner le problème, des appareils Android doivent être mis à disposition dans les mairies, à commencer par une cinquantaine d’entre elles, pour l’instant. Sinon, il est possible d’envoyer le passeport par la poste.

  • Quels documents faut-il soumettre ?

Le ministère de l’intérieur a mis au point un système informatique qui vérifie directement les bases de données du fisc britannique et du ministère des aides sociales et des retraites. Un adulte qui travaille, perçoit des allocations sociales, ou qui touche une retraite depuis cinq ans ou plus, n’a, en principe, aucun autre document à envoyer que son passeport.

Pendant une phase de test menée en novembre et décembre 2018 auprès de 30 000 personnes, c’était le cas de 84 % des candidats.

La situation est plus complexe pour les gens sans revenus et donc sans déclaration fiscale, par exemple un parent qui s’occupe d’enfants. Dans ce cas, le ministère de l’intérieur promet qu’il se montrera très ouvert, acceptant des factures d’eau ou d’électricité, des taxes d’habitation, des certificats de scolarité d’enfants…

C’est pour ces très nombreux cas particuliers que l’efficacité du système va devoir être prouvée. Un centre d’appels fort de 200 personnes sera prêt à répondre aux demandes, auquel s’ajouteront, après le 30 mars, des personnes qui se déplaceront dans le pays pour des rencontres individuelles afin de traiter les cas compliqués.

  • Le système fonctionne-t-il ?

Le ministère britannique de l’intérieur a mauvaise réputation ; il est connu pour son approche tatillonne et procédurière. Mais il promet que l’enregistrement des Européens sera très simple. « Notre objectif est d’aider les gens à obtenir leur statut, pas de les bloquer », assure un haut fonctionnaire. « Il y a eu un énorme effort du ministère », reconnaît M. Hatton, du groupe The 3 Million.

Pour la phase de test, réalisée entre le 1er novembre et le 21 décembre 2018, 27 200 demandes sur 30 000 avaient été traitées le 14 janvier et toutes avaient été acceptées. Parmi celles en suspens, la majorité venait de dossiers incomplets. Certains étaient aussi erronés.

  • Mission impossible ?

D’ici le terme de la période de la transition, fin 2020 (si l’accord sur le Brexit est finalement ratifié), tous les Européens devront avoir été enregistrés.

Le ministère de l’intérieur va donc devoir traiter plus de 6 000 demandes par jour, avec sans doute un afflux beaucoup plus important au début et à la fin de la période. Impossible ? « On traite quatre millions de visas par an, on a l’habitude de ce genre de volume », rassure un fonctionnaire.


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