Proposition de loi « anticasseurs » : la liberté de manifester en péril

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Lors de son interview télévisée du 7 janvier, le Premier ministre Édouard Philippe a annoncé l’instauration d’une nouvelle loi qui permettrait de « prévenir les violences lors des manifestations et sanctionner leurs auteurs ». En vue de l’adoption rapide de son nouvel arsenal « anticasseurs », l’exécutif a repris une proposition de loi portée par le sénateur Les Républicains Bruno Retailleau en réaction aux dégradation commises en marge des manifestations du 1ermai, déjà votée en octobre dernier à la chambre haute.

Le texte, adoubé par le ministre de l’Intérieur, a été édulcoré notamment par la majorité parlementaire elle-même, lors de son examen par la Commission des lois de l’Assemblée nationale.

Son article 1er a été supprimé jusqu’à nouvel ordre, malgré l’aval de Christophe Castaner. Il autorisait la mise en place de périmètres de sécurité au sein desquels des palpations et des fouilles de sac pouvaient être effectuées « si les circonstances étaient de nature à faire craindre des troubles d’une particulière gravité à l’ordre public ».

Une autre mesure phare, et c’est peut-être la plus inquiétante, a été maintenue par les députés marcheurs : le représentant de l’État pourra interdire la participation à une manifestation à « toute personne à l’égard de laquelle il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace pour l’ordre public ». Cette interdiction administrative met en péril une liberté publique fondamentale :  le droit de manifester, reconnu par la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 et consacré par la Convention européenne des droits de l’homme.

Enfin, La République en Marche a écarté la création d’un nouveau fichier listant les personnes faisant l’objet d’une interdiction de manifester : les interdictions judiciaires seront inscrites au fichier des personnes recherchées (FPR) déjà existant. La dangerosité de ce fichage réside dans le fait qu’il pourrait recenser une catégorie de la population en raison de son opposition au pouvoir, et ainsi diminuer les libertés sur le fondement de simples soupçons et non de preuves.

En reprenant cette loi à son compte, le gouvernement prouve, s’il le fallait encore, que le dépassement du clivage entre les valeurs de gauche et de droite par le « nouveau monde » est un leurre. Alors que, sur les ronds-points de France et les boulevards de Paris, se fait entendre le besoin de justice et de lien social, le gouvernement opte pour une réponse autoritaire et liberticide qui pourrait être dangereuse à l’avenir sous un autre régime politique. Rien ne justifie la violence verbale ou physique. Cependant, le « Grand débat » en cours est une occasion unique d’entendre les Français. En répondant à leurs inquiétudes et angoisses on peut éviter l’explosion de la colère et la violence qui malheureusement l’accompagne trop souvent.

Déjà en 1970, le Premier secrétaire du Parti socialiste François Mitterrand s’insurgeait contre la loi anticasseurs du gouvernement Chaban-Delmas, avant de l’abroger en 1982 : « En vérité, le gouvernement saisit l’occasion, comme s’il avait voulu profiter des circonstances, pour élargir incroyablement la délinquance possible. C’est ainsi qu’en fait, il interdit désormais le droit de manifester, le droit de se réunir. »


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