Mon intervention aux universités de la défense

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J’ai participé comme chaque année aux Universités d’été de La Défense. Une façon de rencontrer mes interlocuteurs industriels et militaires habituels dans un cadre de réflexion et d’échanges sur les sujets de fond plutôt que dans le cadre d’auditions plus formelles pour la préparation du débat budgétaire du programme 146 d’équipement des armées dont je suis rapporteure. Je suis intervenue dans un atelier sur « Quels partenariats stratégiques pour gérer les défis de demain? Quel rôle pour l’Union européenne?» et plus particulièrement sur la deuxième partie du titre.

Échanges très riches devant un parterre d’experts français et étrangers dont les questions et contributions nous ont permis d’avancer sur un sujet qui s’impose comme une nécessité.

Retrouvez ci dessous mon intervention.

Mesdames, Messieurs,


Si nous savons depuis le général de Gaulle qu’il faut distinguer les chercheurs qui cherchent des chercheurs qui trouvent, j’ai l’assurance – au regard des nombreux amis présents dans cette salle – de m’exprimer devant des scientifiques et des responsables engagés, bref des chercheurs qui savent, pour lesquels l’expérience et la décision politique la plus utile sont avant tout celles qui sont en dehors des sentiers battus (think outside the box). A cette forme de pensée prospective j’ajoute volontiers« penser global et agir local ». Je vous propose donc de me concentrer sur la deuxième partie du titre de cette rencontre. 
 
La France est légitime quand elle est force de proposition. Elle est même attendue dans l’articulation d’une vision prospective. Le Chef de l’Etat l’a compris quand il ose parler de « souveraineté européenne ». 
Les temps changent cependant et les enjeux aussi. Plus rien de vaut en matière stratégique, politique ou industrielle s’il n’est pas pensé à un horizon de 15 à 30 ans. L’avenir, c’est ce qui dépasse, c’est une main tendue vers le futur. Cette main doit cependant être assurée. Si nous n’avons pas l’assurance, par exemple, que ceux avec qui nous convenons des programmes d’armement (sans parler de ceux à qui nous nous contentons de les vendre) ne « changerons pas de camp », comment investir dans l’avenir, dans un avenir que l’on ferait plutôt que de le subir faute de pouvoir l’assumer seul ?

Ce doute devient mortifère lorsque nous constatons que nous ne pourrons plus demain concevoir seul les grands programmes nécessaires à notre autonomie stratégique


L’Europe devient ainsi un pari nécessaire. Fort de ce constat je pense que vous serez d’accord, Mesdames, Messieurs, que nous limitons les risques en nous tournant vers nos voisins les plus proches. 
Lorsque Raymond Aron écrit que « à l’âge de l’aviation et de la télégraphie sans fil, la division de l’Europe en une vingtaine d’Etats souverains est aussi anachronique que la faucille à bras ou la charrue à main » il nous rappelle que cet anachronisme vaut en toutes matières, y compris naturellement dans celui de l’intégration militaire européenne.  

Avec mon collègue, Ronan Le Gleut, nous avons travaillé dans notre rapport à lever cet anachronisme pour voir s’il était vraisemblable d’imaginer une Europe autonome sur le plan stratégique et par conséquent capable de transcender ses divisions. C’est ce pari que je vous propose de partager en balayant rapidement quelques-unes (3 sur 12 de nos propositions) afin d’enrichir notre échange. 
– Dans un contexte où nous devinons que l’Europe joue son avenir ;
– dans un contexte où nous sommes assurés par la violence des propos et des comportements envers l’UE qu’elle devient une variable de négociation entre les Etats-Unis, la Chine et la Russie,
– dans un contexte où nous devinons en conséquence qu’il lui est vital d’affirmer son rôle dans les domaines de la sécurité et de la défense, cette autonomie s’impose naturellement.
Même si un traité est toujours un accord entre des arrières pensés, nous savons qu’un tournant historique a été amorcé depuis le traité de Lisbonne avec la mise en place d’un certain nombre d’outils.  


D’abord la Coopération structurée permanente (CSP). Lancée en 2018, par 25 États, elle n’est peut-être pas l’avant-garde initialement imaginée mais tous nos interlocuteurs en Europe nous ont indiqué en avoir une appréciation positive ; ce qui est déjà une réussite en soi ! Elle mérite pour ce seul fait d’être poursuivie et approfondie. Mais la CSP manque d’une direction politique d’ensemble : elle doit s’inscrire progressivement dans une logique de comblement des lacunes capacitaires de l’Union. Elle doit également permettre le renforcement de la base industrielle et technologique de défense européenne, au travers du respect par les États participants à la CSP des engagements qu’ils prennent à ce titre.


Ensuite, la création du Fonds européen de défense (FEDef) en 2015 qui pourrait être doté de 13 milliards d’euros, avec un fort effet de levier, permettant le financement de près de 45 milliards d’euros de R&D de défense sur la période 2021-2027. 
Mais il faudra d’abord que le budget soit confirmé dans le prochain cadre financier pluriannuel de l’Union. Il faudra ensuite éviter que les dépenses du FEDef n’aient un effet d’éviction sur les dépenses de défense nationales. Nous y serons attentifs dans le cadre du suivi de la LPM. 
Enfin, l’argent du contribuable européen a vocation à financer la R&D des entreprises européennes, ce qui pose la question du statut des États tiers vis-à-vis du FEDef, en particulier le Royaume-Uni post-Brexit et les États-Unis qui semblent bien déterminés à accéder au Fonds.  
Il nous semble que la question se pose différemment pour le Royaume-Uni, avec qui l’Union européenne devra conclure un partenariat de défense et de sécurité global, peut-être un nouveau traité comme nous l’a suggéré le président de la commission des AE du House of Commons. 
C’est pourquoi nous plaidons pour une association étroite du Royaume-Uni à la défense européenne, lui permettant de participer autant que possible aux dispositifs européens, notamment au FEDef, à la CSP. L’existence du FEDef pose la question de la mutualisation des moyens, pour quoi et avec quelles conséquences. 


Il va de soi que ces outils ne trouverons leur cohérence que dans une stratégie globale. Chaque Etat européen avait au tournant de ce siècle sa collection diplomatique de livres bleu, rouge, jaune ou vert. Il me semble que nous pourrions faire le pari d’un Livre blanc qui permettrait d’en tirer les conséquences et apporter un peu de cohérence sur le plan capacitaire et industriel par exemple.


En conclusion, beaucoup reste à faire, mais les choses avancent indéniablement dans la bonne direction puisque nous avons un cadre institutionnel et demain financier qui ne requiert qu’une forte volonté politique. Il faut continuer à avancer pas à pas c’est-à-dire au moyen de « réalisations concrètes créant d’abord une solidarité de fait », pour reprendre l’expression employée à l’aube de la construction européenne par Robert Schuman (1950).A
 


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