La Der des Ders

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Il y a bien longtemps on considérait une bonne bataille au nombre de morts qu’elle avait faite. 22 000 morts parmi les troupes françaises en un seul dimanche de 1914. Et puis, un jour de 1918, on annonce que la guerre est finie et tous ceux qui ont eu la chance de sortir vivant de cet enfer peuvent rentrer chez eux, la tête pleine d’atrocités et le coeur lourd de peine à cause des copains qu’ils ont vu mourir.

La France se dit fière de ses jeunes hommes qui rentrent chez eux et essaient de reconstruire une vie, seuls. Les témoignages du vécu de ses jeunes hommes sont choquants quand on a bien voulu les recueillir. Personne ne s’en soucie et puis il est vrai que l’on a recommencé tout ça 20 and plus tard! On a attendu près de soixante ans pour se préoccuper des hommes et aller au-delà du rituel des cérémonies. Attendait-on qu’ils ne soient plus assez nombreux pour faire quelquechose de symbolique qui ne coûterait pas trop cher?

Trait intéressant de ce début du 20 ieme siècle les immigrés étaient bienvenus puisqu’on les retrouve parmi les quelques poilus qui restent. J’ai trouvé l’article ci-dessous touchant par la détermination de ces deux hommes qui ont gardé un sens profond des vraies valeurs de la vie. La solidarité envers leurs camarades morts est plus importante que médailles et honneurs.

110 ans, Louis de Cazenave et Lazare Ponticelli ont passé l’âge de se faire commander. Fini le temps où on les faisait sortir de la tranchée au sifflet. Les deux derniers poilus français veulent qu’on les laisse finir en paix. L’un et l’autre ont peu apprécié qu’en 2005 le Haut conseil de la mémoire combattante, présidé par le chef de l’Etat, décide, sans les consulter, d’organiser des « obsèques de portée nationale » au dernier combattant de 14-18. L’idée de faire reposer le der des ders au Panthéon ou au côté du soldat inconnu avait alors germé. Sauf que les deux rescapés n’ont que faire de cette prestigieuse compagnie. Ils ont prévu d’autres dispositions.

Louis de Cazenave veut être enterré avec sa famille dans le cimetière de Saint-Georges d’Aurac (Haute-Loire), où il est né le 16 octobre 1897. Il ne décrochera pas de cette position. Le bonhomme n’a jamais aimé médailles et honneurs : « De la fumisterie ! »

Revenu du front en pacifiste convaincu, il avait fallu insister pour qu’il accepte la Légion d’honneur, dans les années 1990. « Ils peuvent se l’accrocher quelque part », avait-il lancé à son fils. « Certains de mes camarades n’ont même pas eu le droit à une croix de bois », peste- t-il. Alors l’homme n’exprime plus qu’une dernière volonté : « Être tranquille. »

« UN AFFRONT FAIT À TOUS LES AUTRES »

Comme chaque année, si sa santé le permet, Lazare Ponticelli assistera le 11 novembre, à 11 heures, à la cérémonie du souvenir au monument aux morts du Kremlin -Bicêtre (Val-de-Marne), ville où il habite depuis les années 1920. Cet immigré italien, né le 7 décembre 1897, s’est engagé dès 1914 pour défendre cette France qui lui « avait donné à manger ». Mais il estime avoir assez donné à sa patrie d’adoption. « Je refuse ces obsèques nationales. Ce n’est pas juste d’attendre le dernier poilu. C’est un affront fait à tous les autres, morts sans avoir eu les honneurs qu’ils méritaient. On n’a rien fait pour eux. Ils se sont battus comme moi. Ils avaient droit à un geste de leur vivant… Même un petit geste aurait suffi. »

A ses yeux, le travail de mémoire « arrive tard ». « On s’en est foutu un peu. Il a fallu que ce soit Chirac qui commence à bouger quand on n’était plus nombreux et qu’on était fatigués. » Sa fille Janine se veut plus conciliante : « Je souhaite pour papa une cérémonie très simple dédiée à tous les poilus et aux femmes qui ont participé à cette guerre. J’exige aussi que son corps nous soit restitué afin qu’il repose dans le caveau familial. »

Francis Gouge (Val-de-Marne, correspondant) et Benoît Hopquin Article paru dans l’édition du Monde du 10.11.07.


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