Le nez dans le sable

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Le titre ne fait pas référence à la politique de l’autruche. En mai 2008, l’Irlande surfait encore sur une vague de prospérité et de croissance, donnée comme exemple à suivre et gagnant tous les concours. La planche a soudain glissé de dessous nos pieds, sans annonce, et nous nous retrouvons tous le nez dans le sable. Chaque rouleau nous enfonce un peu plus et l’espoir de nous relever s’estompe avec le temps. Le choix de la croissance à celui du développement nous a entraînés dans la course de trop.

En mai 2009, chaque jour amène sa peine dit-on et aussi son annonce. Aujourd’hui les allocations familiales seront baissées pour tous ; les derniers chiffres officiels confirment la baisse des recettes fiscales (-24% par rapport à 2008); hier c’était le bonus de Noel de 250 euros auquel avaient droit jusqu’alors les familles démunies ou au chômage (l’allocation chômage est fixée à 230 euros par semaine) qui est supprimé; le mois dernier les impôts augmentaient de 2,5 à 6,5 % suivant la tranche d’imposition et le mois d’avant le salaire des fonctionnaires était amputé de 10%. Comme ceux qui ont encore un emploi n’osent rien dire, par respect pour ceux qui l’ont perdu, les coupes tombent sans que la rue ne bouge. Enfin elle s’anime un peu avec les queues de quelques centaines de mètres qui se créent spontanément dès qu’une annonce collée à la vitre d’un magasin ou d’un restaurant affiche que l’on recrute. On voit alors tous les âges et toutes les nationalités, le CV à la main que l’on retrouve dans les ANPE. Plus de 4 000 candidats se sont présentés pour 280 places chez Ikea qui ouvre son premier magasin en Irlande pour un tarif horaire de 9.40 euros. Une note est arrivée du ministère de l’éducation vendredi dernier nous indiquant qu’aucun des contrats des professeurs vacataires ne sera renouvelé en septembre. Nous fermerons des cours et 560 personnes de plus s’inscriront au chômage. Les collègues professeurs permanents d’une autre université ont décidé de donner une semaine de leur salaire afin de sauver quelques postes. La solidarité s’organise et les politiques essaient de donner l’exemple. Cinq postes de ministres ont été supprimés ; leurs indemnités revues à la baisse ou supprimées dans certains cas. Les têtes tombent dans le secteur bancaire. Pratiquement tous les dirigeants des grandes institutions financières ont été remplacés et leurs successeurs gagnent en moyenne la moitié de leurs salaires. Les privilèges, les bonus tout disparait dans ce grand nettoyage de printemps. La crise aura cela de bénéfique de rééquilibrer les salaires des plus riches et de se débarrasser des privilèges de ceux qui peuvent s’en passer.


Cela fait beaucoup de chiffres mais il est important de connaitre la réalité du pays quand on donne son avis sur la situation irlandaise, comme le font bon nombre de journalistes français. Cette réalité là est vécue par les gens, les gros titres des journaux en parlent. On lit que les Irlandais ont enfin compris que l’Union européenne était bonne pour eux et qu’ils voteront oui lors du prochain référendum sur Lisbonne à l’automne prochain. Ce sera un peu plus compliqué que ça. La question posée n’aura pas d’importance si ceux qui n’ont pas su expliquer le traité, ont ensuite accéléré la crise et sont encore aujourd’hui au gouvernement posent la question. Il suffit de penser à ce qui s’est passé en France en 2005 et sur quels critères se jouerait un référendum en France aujourd’hui. Quand le présent est rempli de menaces – perte de son emploi, de sa maison qui vaut la moitié du prix acheté – et que l’avenir est incertain une élection permet d’exprimer sa colère. Les priorités sont autres que celle de répondre à la question posée. Les Européennes de juin nous donneront une indication de ce qui se passera à l’automne prochain. Cette élection aura lieu le même jour que les élections locales pour lesquelles le Labour est donné gagnant avec l’autre parti d’opposition Finne Gael. Pour la première fois le Labour dépasse les 20 % que l’on espère voir traduit par des gains de sièges dans les prochaines élections. On espère ainsi un taux de participation supérieure pour les Européennes, à moins bien sûr, que l’électorat, trop désabusé, préfère boycotter le vote. En attendant c’est à plat ventre que l’on risque de rejoindre la plage !

Hélène Conway – Section de Dublin


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