Carnet de campagne. Dublin automne 2009.

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1 septembre

“Déjà vu” est une expression qui plait beaucoup aux anglophones et qui sied tellement bien à ce début de seconde campagne référendaire sur le traité de Lisbonne. Les premières affichent qui apparaissent dans les rues appellent à voter Non sur la base du salaire minimum réduit à 1.84 euros si le traité est ratifié. Le thème de l’avortement ressurgit dans les débats. Et il faut y ajouter la perte de pouvoir de l’Irlande dans sa représentation au niveau européen. Le gouvernement reste muet, trop occupé par la création de son Agence de gestion de l’Immobilier surnommée « Nama », véritable banque « poubelle » qui doit absorber les dettes des promoteurs voyous. La popularité du gouvernement est au plus bas dans les sondages- 17% de taux de satisfaction pour son action. Le Premier ministre dit qu’il ne démissionnera pas si le Non l’emporte, mais il est clair qu’il joue sa carrière politique avec ce référendum.

8 septembre

Les représentants de la majorité parlementaire gardent profil bas. Fini les visages souriants des députés qui accompagnent le slogan « Ensemble, nous sommes plus forts » ou « Sauvons nos emplois ». Seuls les députés de l’opposition s’engagent personnellement. La campagne pour le Oui, plutôt timide jusqu’ici, s’accélère. Les débats dans les quartiers s’organisent et les associations – jeunes, femmes, écolos – s’impliquent. A l’extrême gauche, les nationalistes de Sinn Fein, seul parti politique du côté du Non, assurent que « Lisbonne » est un mauvais traité qui n’offre pas assez de protections aux travailleurs.

15 septembre

Pat Cox, ancien président du parlement européen, reçoit dans sa campagne l’appui de Michael O’Leary, le patron de la compagne aérienne Ryan Air. Le débat devient plus agressif dans les deux camps. Le Oui accuse le Non de mensonges sur les garanties. Le Non parle d’intimidation, de chantage aux emplois. Si le contexte économique n’a pas eu d’influence sur le vote l’an dernier, il jouera un rôle capital dans cette seconde campagne référendaire. Ministres et députés citent à l’envi l’exemple de l’Islande, pour montrer ce qui aurait pu arriver à l’Irlande, si elle n’avait pas été au coeur de la zone euro. Le camp du Non est une coalition disparate liguant l’extrême droite, l’extrême gauche et les ultra-catholiques brandissant des menaces allant du service militaire obligatoire, à l’euthanasie et à l’avortement. Ils peinent à trouver un point de référence cohérent et semblent avoir perdu le dynamisme de la première campagne, gagnée sur ces mêmes thèmes.

21 septembre

Declan Ganley, artisan du Non Irlandais de 2008, battu aux dernières élections européennes de mai dernier, entre en campagne. Ses affichent affirment que « le seul emploi que Lisbonne garantira » est celui du Premier ministre irlandais. Les échanges se durcissent et les médias se concentrent désormais sur la campagne. Le débat descend même dans la rue: une joute radio est organisée dans un grand magasin des quartiers nord de Dublin. Le camp du Oui cite les garanties offertes à l’Irlande par les 27 dirigeants européens: Rien dans les traités à venir ne modifiera les prérogatives nationales irlandaises sur l’avortement, son statut de neutralité militaire et sa politique fiscale. Le gouvernement a aussi obtenu de garder son commissaire européen. Le camp du Non frappe les partisans du oui à leur talon d’achille: l’impopularité du gouvernement. Cerise sur le gâteau, le conseil des évêques annonce que tout bon catholique peut voter oui ou non en son âme et conscience mais que les garanties obtenues protègent l’Irlande contre l’avortement et la conscription.

Quelques réflexions post campagne

Les politiques irlandais ont fourni la preuve criante, s’il en fallait une, qu’ils ne s’intéressent pas à l’UE et ne s’en préoccupent que pour des enjeux électoraux. Dans les deux camps, la société civile a mené la campagne. Doit-on mettre au référendum un traité illisible ? Ne serait-il pas plus judicieux de consulter le peuple régulièrement sur des questions qui les intéressent directement comme l’élargissement de l’Union voire la participation à l’UE? Après deux campagnes, je ne suis pas convaincue que les Irlandais soient beaucoup plus informés que les autres sur le contenu du traité. Ils ont réagi à ce qui leur était présenté comme menaces. On peut les critiquer sur leur peur de voir l’avortement introduit en Irlande et donc de rejeter le traité sur ce point. D’autres pays auraient certainement d’autres raisons pour rejeter le traité. Lisbonne est l’affaire aujourd’hui de Vaclav Klaus qui, après avoir déposé un troisième recours contre le traité, demande une garantie. Ce sera aussi peut-être l’affaire du conservateur David Cameron qui entend soumettre le traité à référendum au Royaume Uni, s’il est élu lors des élections législatives du printemps 2010, et si bien sur le traité n’est pas encore ratifié à ce moment là. La Suède, qui préside l’UE, a pratiquement renoncé à voir la Commission de José Manuel Barroso formée sous l’empire du traité de Lisbonne. Une dernière question s’impose alors naturellement. Reste-t-il vraiment encore une volonté de construction de l’Union européenne dans les peuples de ce continent qui rejettent systématiquement, quand l’occasion leur en est donnée, le dernier traité constitutionnel puis devenu traité de Lisbonne ?


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