| 12.07.11 | 12h00 • Mis à jour le 12.07.11 | 12h13
Le ministère des finances a décidé que le défilé militaire du 14-Juillet coûtait trop cher. Comme d’autres démocraties, la France renonce à sa démonstration annuelle. Elle se contentera d’un logiciel de simulation pour donner au pays un aperçu des capacités de son armée.
Ce scénario de fiction le restera-t-il longtemps ? Le 14 juillet 2011 a lieu dans un climat tendu entre les armées et le pouvoir politique. Le débat actuel sur la"surchauffe" que provoqueraient les opérations en cours en témoigne.
En France, comme au Royaume-Uni au même moment, les chefs militaires ont averti : ils ont des difficultés pour durer. Après l’Afghanistan, la lutte antiterroriste au Sahel, la Côte d’Ivoire, ils ont pu répondre aux demandes urgentes de la"diplomatie militaire" en Libye grâce à une bonne planification. La période est à la "suractivité" comme l’a dit le chef d’état-major de la marine, l’amiral Pierre-François Forissier, plus qu’à la "surchauffe". Mais celle-ci est pour demain. Car les armées n’ont plus assez de marge pour, à la fois, combattre et régénérer le potentiel militaire.
Pendant que la marine et l’armée de l’air remplissent leur mission en Libye, la formation des jeunes pilotes est arrêtée. Si l’opération dure jusqu’à la fin 2011, l’unique porte-avions français, outil-vitrine à disposition du président, sera au port en 2012 pour renouveler les équipements et qualifier les hommes aux normes exigées par l’OTAN. Plus généralement, à l’arrière du front, les matériels manquent pour l’entraînement. La disponibilité est mauvaise, moins de 50% pour les avions. Le moral n’est pas bon.
RESTRUCTURATIONS, PROJECTIONS EXTÉRIEURES, PHASES DE CONTRAINTE FINANCIÈRE…
Les responsables militaires qui se sont exprimés ont été convoqués et rappelés à l’ordre ; ceux qui voulaient le faire en ont été empêchés. L’appareil militaire est"au taquet", a pourtant convenu le ministre de la défense, Gérard Longuet. Depuis les années 1960, les armées ont connu des restructurations, des projections extérieures et des phases de contrainte financière.
"Mais jamais les trois à la fois comme aujourd’hui", souligne le chef d’état-major des armées, l’amiral Edouard Guillaud. "Les armées sont fragiles et fragilisées, il ne faut pas le nier ni se voiler la face : nous sommes dans une situation difficile", admettait-il, en mai, devant l’Institut des hautes études de défense nationale. Les contraintes financières "grèvent notre endurance opérationnelle"et "demain (…) pourraient remettre en cause notre régénération, c’est-à-dire notre aptitude à assumer les missions qui nous sont confiées". Au moment où, bien davantage que l’affaiblissement du lien entre l’armée et la nation, la crise met en péril la cohésion nationale, les exigences financières dominent le débat stratégique.
Souvent comparées, les opérations aériennes du Kosovo en 1999 et de la Libye depuis mars, divergent ainsi sur un point notable. La guerre contre le colonel Kadhafi a été d’emblée jaugée au prisme de ce qu’elle coûte. C’est 1,2 million d’euros par jour, a dû indiquer le ministère de la défense, 100 millions en trois mois. Le surcoût des opérations extérieures dépassera sûrement 1 milliard d’euros à la fin 2011, quand 640 millions ont été budgétés.
L’argent dépensé de la sorte est "aberrant", a estimé Daniel Cohn-Bendit, coprésident des Verts au Parlement européen. Le député évoquait, en juin, la situation de la Grèce, pays aux 100 000 soldats pour 11 millions d’habitants, lancé dans une course aux armements avec la Turquie. Quel sens cela a-t-il de demander à des fonctionnaires de baisser leur salaire, quand leur pays vient d’acheter à la France pour 3 milliards d’euros d’armement, ainsi que six sous-marins à l’Allemagne, pour 1 milliard, s’est interrogé M. Cohn Bendit ? Selon lui, une initiative européenne pour le désarmement serait plus efficace pour régler la crise grecque.
LA SÉCURITÉ COMME THÈME DE CAMPAGNE ?
Dans ce contexte, la France partage avec les puissances occidentales un même défi : disposer d’une armée "au juste prix". Professionnelle et resserrée. Moderne et efficace. Soutenable par l’opinion et disponible dans l’heure pour le pouvoir politique comme ce fut le cas pour l’armée de l’air en Libye. Contrairement aux Européens, les Etats-Unis se définissent comme une "nation en guerre". Mais au moment où la question de la dette rattrape l’Amérique, les sommes dépensées en Afghanistan, 450 milliards de dollars (320 milliards d’euros) en dix ans, apparaissent, elles aussi, exorbitantes.
Si les militaires s’inquiètent de perdre à ce jeu, c’est que les budgets de défense européens ne cessent de baisser au profit des priorités économiques et sociales. L’effort ne peut pas être regardé comme faible dans l’absolu, avec une dépense annuelle de 31 milliards, dont 18 milliards d’acquisition, le premier budget français d’investissement public.
La question est bien celle du hiatus entre les ambitions et les moyens alloués. La contradiction est devenue par trop manifeste. "La question n’est pas : avons-nous ce qu’il nous faut ? Elle est : dites-moi ce que vous voulez que je fasse", indique l’amiral Guillaud. Le chef d’état-major "souhaite que la défense soit non un enjeu, mais un sujet pour 2012."
La stratégie nationale établie en 2008 dans le Livre blanc doit être révisée en 2012. Un Livre vert est à l’étude, qui poserait, avant l’élection présidentielle, un premier diagnostic sur la sécurité du pays et les menaces qu’il affronte. Une étape consensuelle. Sa déclinaison concrète – quelles opérations, avec quels moyens ? – exige un débat plus âpre. L’exécutif ne veut pas l’ouvrir avant la présidentielle.
Nathalie Guibert Article paru dans l’édition du 13.07.11