Mon interview à Paroles d’Actu

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"Hélène Conway-Mouret vient de retrouver son siège au Sénat. Il y a deux mois, elle faisait encore partie du gouvernement, celui de Jean-Marc Ayrault. Rattachée au Quai d’Orsay, à Laurent Fabius, elle était jusqu’alors en charge des questions touchant aux Français établis à l’étranger. Pas exactement un rôle de composition pour cette femme politique au profil atypique : l’ouverture aux autres cultures, c’est, pour elle, une histoire de cœur autant que de convictions. L’amour qu’elle porte à l’Irlande, à l’idée européenne est ancien.

Elle n’a pas – c’est le moins qu’on puisse dire – été, parmi les ministres, la plus médiatisée. Son parcours, ses idées, son message mériteraient pourtant d’être entendus. Elle a accepté, quelques jours après la libération des journalistes français retenus en Syrie, de répondre à mes questions pour Paroles d’Actu. Et de revenir, un peu plus tard, sur des propos polémiques qui lui ont été prêtés par le Nouvel Obs’ au sujet de François Hollande. Je l’en remercie… Une exclusivité Paroles d’Actu. Par Nicolas Roche, alias Phil Defer. 

 

Paroles d’Actu : Bonjour, Hélène Conway-Mouret. Enfin… Ils sont enfin libres. Édouard Élias, Didier François, Nicolas Hénin et Pierre Torres sont rentrés sains et saufs de l’enfer de leur détention par des membres du groupe islamiste radical E.I.I.L., en Syrie. (Quelques heures après la rédaction et l’envoi de ces questions, nous apprenions, malheureusement, la disparition de Gilberto Rodrigues Leal, otage français retenu au Mali, ndlr). Entre juin 2012 et la fin mars 2014, vous avez été ministre déléguée, chargée des Français de l’étranger et, notamment, des questions relatives à leur sécurité. Plusieurs crises liées à des prises d’otages, à des menaces sur nos compatriotes de installés à l’étranger ont émaillé cette période, période au cours de laquelle nos troupes sont intervenues au Mali, en Centrafrique… Comment avez-vous vécu ces deux années, sous le prisme de ces questions en particulier ?

Hélène Conway-Mouret : Je suis restée constamment mobilisée sur ces questions avec mon équipe, notamment en apportant notre soutien aux proches des otages français.

La sécurité des communautés françaises à l’étranger est une question sensible à laquelle j’ai essayé d’apporter des réponses concrètes. Je me suis attachée, pendant ces deux années à la tête du ministère des Français de l’étranger, à la fois, à moderniser et professionnaliser nos équipes en nous inscrivant autant dans la prévention que dans la réaction aux menaces. Nous avons obtenu des crédits supplémentaires pour permettre au Centre de crise du ministère des Affaires étrangères d’engager des missions ponctuelles de soutien – mission de renfort, équipement. Vingt millions d’euros ont aussi été alloués pour la sécurisation de nos installations à l’étranger.

Avec le Centre de crise, nous avons également modernisé nos fiches Conseils aux voyageurs et le portail Ariane, qui permet aux Français de signaler leurs déplacements à l’étranger. Nous avons établi des fiches réflexes pour les postes en matière de sécurité, accessibles par tous les agents consulaires. Nous avons également organisé avec le Centre de crise une simulation de gestion de crise en Indonésie pour mettre nos équipes en situation.

J’ai rassemblé au ministère les directeurs de la sécurité de nos grands groupes à l’étranger, dans le cadre des Rencontres sur la sécurité des entreprises françaises à l’étranger, ainsi que les différentes agences de l’État qui envoient en missions leurs agents. Nous avons offert de traiter de façon conjointe la sécurité et de les faire bénéficier de l’expertise du ministère.

J’ai aussi instauré, dans le cadre de la Conférence des Ambassadeurs, une première réunion sur le thème de la sécurité, en août 2012, pour mutualiser l’ensemble de l’expertise des diplomates sur ce thème, thème qui maintenant a trouvé sa place dans ce rassemblement annuel de tous les chefs de postes.

 

PdA : Vous vous êtes exprimée à plusieurs reprises – je pense au site web lepetitjournal.com notamment – sur votre action en faveur des Français de l’étranger et de leur représentation, je n’y reviendrai pas outre mesure. J’aimerais vous inviter, plus généralement, à nous livrer vos sentiments quant à l’état de la francophonie aujourd’hui ?

H.C.-M. : La francophonie est bien vivante ! Je l’ai rencontrée partout dans des communautés françaises qui sont de plus en plus importantes à l’étranger, puisque la mobilité est aujourd’hui l’affaire de tous. Dans tous les pays que j’ai visités, j’ai ressenti un capital de sympathie très fort pour la France. La francophonie, ce n’est pas seulement une langue partagée, c’est un ensemble de valeurs basé sur les droits de l’Homme, la défense de l’État de droit.

 

PdA : Avez-vous été confrontée, ici ou là, à des initiatives tendant à la promouvoir et jugées, de votre point de vue, particulièrement intéressantes ?

H.C.-M. : Les initiatives sont multiples : elles passent par l’organisation d’événements culturels, généralement organisés par les services culturels des ambassades, avec notamment la Semaine du cinéma français, qui fonctionne très bien partout, et par des initiatives individuelles, que j’ai d’ailleurs mises en valeur par le biais du Tumblr Femmes françaises du monde (voir : le lien du Tumblr, ndlr).

 

PdA : De la même manière, quelles leçons avez-vous tirées, de par votre expérience, y compris en tant que conseillère du commerce extérieur, s’agissant des leviers sur lesquels jouer pour aider nos entrepreneurs à exporter et à se développer à l’étranger, d’une part, et d’autre part à inciter les investisseurs extérieurs à s’implanter sur le territoire national ?

H.C.-M. : À tous les niveaux, là aussi, les initiatives sont prises.

Au niveau national, le président de la République a lancé le Pacte national pour la croissance, la compétitivité et l’emploi. Le concours mondial Innovation 2030, visant à faire émerger les talents et à les accompagner dans leur croissance, en France. Le Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi favorise aussi l’investissement.

Et puis, localement, à l’étranger, dans le cadre de la diplomatie économique, nous avons mis en place les conseils économiques autour du chef de poste qui ont maintenant des lettres de missions avec des objectifs économiques spécifiques. J’ai travaillé à l’établissement de réseaux, notamment d’anciens élèves de nos lycées français, avec le FOMA (Forum mondial des anciens des lycées français du monde, ndlr), et d’anciens étudiants des universités ou grandes écoles françaises, qui sont de véritables leviers d’influence, et donc des relais incontournables.

Enfin, notre politique, aujourd’hui, est axée sur l’accompagnement des PME à l’international. Elle se traduit concrètement par une présence administrative modernisée et de proximité, soutenue, d’une part, par le réseau scolaire et culturel qui est le pilier de notre diplomatie d’influence et, d’autre part, par les acteurs du monde économique, tels que les chambres de commerce franco-…, les conseillers du commerce extérieur, les missions économiques.

 

PdA : Quelle interprétation faites-vous de la forte démobilisation des électeurs de gauche lors des élections municipales, de ces sondages qui indiquent, l’un après l’autre, à quel point la défiance de certains des électeurs de François Hollande envers leur candidat d’alors est devenue forte, implacable ? Est-ce une situation qui vous inquiète ?

H.C.-M. : Ce qui m’inquiète le plus, c’est la montée du populisme et du nationalisme, et je vois dans la démobilisation des électeurs de gauche, qui se traduit notamment par une forte abstention, l’expression d’une déception par rapport à ce qu’ils attendaient avec l’arrivée de la gauche au pouvoir. Les Français sont réalistes et comprennent parfaitement les économies qui doivent être faites, mais ils attendent qu’elles soient réalisées dans l’équité et la justice sociale. C’est ce que fait le gouvernement, avec une marge de manœuvre réduite par l’ampleur de la dette et du déficit.

Il est nécessaire de réinstaurer la confiance entre les élus et la population. Cela passe, à mon sens, par la mise en œuvre de réformes structurelles dont l’application impacte directement la vie quotidienne des citoyens.

 

PdA : Vous comptez, Hélène Conway-Mouret, parmi les partisans les plus enthousiastes de la construction européenne. Il ne fait guère de doute qu’en ces temps de crises économiques, sociales et, parfois, identitaires, les eurosceptiques gagneront des points lors des élections du mois de mai, sur l’ensemble du continent. Il y aura également, c’est fort probable, une abstention record en France, comme à chaque fois – et de plus en plus – lors des scrutins communautaires, alors même que l’Union pèse d’un poids toujours plus important dans nos législations et notre vie de tous les jours. Franchement, les politiques nationaux, les gouvernements qui se sont succédé aux affaires depuis des années ne partagent-ils pas, en la matière, une lourde responsabilité, en ceci qu’ils n’ont que rarement fait preuve de pédagogie, préférant parfois s’en tenir à des postures à la limite de la démagogie ?

H.C.-M. : En effet, les gouvernements qui se sont succédé ont souvent blâmé l’Europe pour la mise en place de politiques impopulaires, mais cependant nécessaires. Les acquis tels la paix, qui n’a pas de prix, et la prospérité, la mobilité aujourd’hui possible grâce à Schengen, la monnaie unique, toutes les avancées en matière environnementale, sont des acquis qui sont aujourd’hui oubliés.

Il est utile de rappeler tous les acquis positifs et de se projeter dans l’Europe de demain et le rôle qu’elle peut jouer dans le monde. L’Europe a besoin à nouveau de grands projets qui entraînent avec eux à la fois l’enthousiasme et l’implication des citoyens.

 

PdA : Comment voyez-vous l’Europe à l’horizon d’une génération ?

H.C.-M. : Il s’agit d’une génération qui aura parfaitement intégré cette liberté de choisir où vivre, où travailler, où fonder sa famille. Une Europe où l’humain sera revenu au centre des préoccupations et qui continuera de vivre en paix.

 

La question en +…

PdA : Le Nouvel Obs‘ vous a récemment prêté des propos franchement amers envers le président Hollande, sa supposée froideur et son manque de reconnaissance. Le 15 mai, vous avez fustigé le déficit de « rigueur » de l’hebdomadaire, affirmé que vous ne vous reconnaissiez pas dans les termes de l’article et que alliez « demander un droit de réponse ». Comment expliquez-vous ce décalage ? Quels sont votre perception, vos sentiments s’agissant de François Hollande aujourd’hui ? 

H.C.-M. : Je peux comprendre qu’un journaliste choisisse les propos qui illustrent ce qu’il veut démontrer et oublie ce qui présente l’opposé. Cependant, me prêter des mots pour exprimer un sentiment général est incorrect. J’ai d’ailleurs écrit au directeur de la rédaction de l’hebdomadaire. Pendant vingt-deux mois, j’ai mis toute mon énergie à la mise en place de réformes structurelles nécessaires dans l’esprit de la feuille de route donnée par le président, avec lequel j’ai toujours été en phase.

Mon engagement a toujours été total auprès du candidat, que j’ai accompagné dans tous ses meetings de campagne, et comme après en tant que Président dont les objectifs sont clairs et dans lesquels j’ai inscrit mon action. Notre relation a toujours été une relation de travail, qui ne me qualifie pas pour entrer dans l’intimité de sa personnalité, et encore moins pour la commenter."

Propos recueillis par Nicolas Roche pour http://parolesdactu.canalblog.com/

 


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