Eduardo Galeano, ou la mémoire contre l’oppression

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Eduardo Galeano s’est éteint à Montevideo, Uruguay, le 13 avril dernier, mais sa voix reste plus audible que jamais. Cet auteur, essayiste, conteur engagé, qui eut pour université les cafés de Montevideo, puis les rédactions de journaux comme Marcha ou Epoca, restera une icône de l’Amérique latine pour ses paroles puissantes, son travail de mémoire, son projet de liberté. 

Sa voix, celle du Galeano journaliste, de l’écrivain de Les veines ouvertes de l’Amérique latine, permit en 1971 d’attirer l’attention sur l’histoire oubliée du continent sud-américain. Pour la première fois, il raconta la colonisation et l’exploitation, portant au public les témoignages douloureux de ceux qui avaient été réduits au silence de l’oubli. Raconter, pour Galeano, c’est un peu commémorer, une tentative de réparer les torts de l’histoire. En 1997, il ouvrait son article Mémoires et Malmémoires par le proverbe suivant : « Tant que les lions n’auront pas leurs propres historiens, les histoires de chasse continueront à glorifier le chasseur ». Toujours actif, toujours critique, Galeano s’est fait historien des pauvres, des opprimés, fauves face au chasseur tout puissant ou des femmes de la place de Maiface à la dictature. Femmes considérées folles un temps, désormais devenues héroïnes, symboles de liberté. 

Mais l’engagement d’Eduardo Galeano ne se restreint pas au passé, car son écriture de l’histoire porte en son sein le projet de redonner à tous les individus leurs droits : le droit de rêver, ou le droit à la mémoire, dans une lutte de justice dont il est devenu l’icône. Conduit avec humilité et rigueur, le travail de reconstruction du passé est un travail contre l’oppression future. 

Commémorer Eduardo Galeano est donc un devoir, presque un exercice de liberté. Racontant leur histoire, il a donné aux opprimés une place dans l’Histoire ; il y mérite désormais la sienne. Par son travail, il a offert à la société une autre mémoire collective, une autre conscience pour appréhender le présent. Il a dénoncé: “ceux qui ne possèdent pas de voix possèdent la voix la plus puissante, mais depuis des siècles sont condamnés au silence et donnent parfois le sentiment de s’y être habitués.” Ce qu’a fait Galeano, a été de donner la parole à tous les "damnés de la terre", leur prêter sa voix humble mais forte sans avoir jamais cherché à devenir leur porte-parole privilégié dans l’exercice de leur liberté. 


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