Voici le discours prononcé à l’occasion du départ de Garard Fuchs, mon prédecesseur en tant que Directeur du Secteur international à la Fondation Jean Jaurès :
Monsieur le directeur général, Cher Gilles,
Et vous tous mes amis, Laurent et toi Gérard,
Je ne crois pas que la chose la plus triste au monde soit de rater ses idéaux et plus encore de les avoir réalisés ! Avoir un idéal et le faire vivre est nécessaire à l’engagement politique et ce au risque même de le voir aboutir!
Mais dans ton cas, Gérard, la question ne se posait pas alors que tu vis le jour dans les premières heures de la seconde guerre mondiale. Naitre alors que le monde basculait pour la seconde fois en un siècle sur un nouvel axe imposait de s’engager. Tu l’as fait, sans arrière-pensée, avec constance, avec la patience et la pédagogie qu’un directeur de recherche au CNRS – si ce n’est celle d’un militant fédéraliste ! – peut y mettre. Tu as toujours penser que l’égalité des hommes peut naître grâce une politique d’aide au développement.
Au cabinet de Jean-Pierre Cot notamment ; ministre s’il en est des espoirs déçus d’une gauche qui se rêvait idéaliste, même en Afrique ; A l’Assemblée nationale ensuite puis au parlement européen dans la commission du développement où tu fis le choix de siéger lors de ton premier mandat.
Cet idéal et cette foi dans le développement s’exprimeront aussi dans tes fonctions de président de l’office national d’immigration. Elles t’amèneront à cette exclamation en 1987 – que l’on devrait rappeler aujourd’hui avec force à propos des immigrés – « ils resteront car ils ne sont plus des étrangers ».
Cet idéal humain, tu l’a aussi exprimé en parlant de cette mémoire enfouie que nous partageons, l’Algérie. Tu y as été officier. J’y suis née. Nous y avons séjourné tous les deux, à de nombreuses reprises. J’ai toujours voulu voir dans ce pays « cet immense décor où la tendresse et la gloire se rencontrent dans le jaune et le bleu » ainsi que le rêvait l’auteur de l’Etranger dans un amour de ce pays qui hante encore le Panthéon de la gauche. Mais j’en devine aussi, moins que toi, ces mémoires individuelles meurtries et la violence que ces évènements ont fait subir aux convictions de ceux qui y furent engagées. Ton idéal y a résisté.
C’est encore cet idéal, dont je devine, qu’il fut à l’origine de ton implication à la Fondation et que je comprends. Et puis, soyons sincères, nous y partageons aussi une amitié commune pour celui auprès duquel ceux qui sont rassemblés aujourd’hui se sont engagés hier alors même que tous n’étaient pas économistes et germanistes ! Nous partageons également, Gérard, par nos déplacements, un goût prononcé pour les boissons les plus exotiques et les plats les plus originaux. Nous partageons enfin une certaine solitude. Celle qui fit dire à ton fils te voyant rentrer un soir d’un dernier déplacement en tant que député européen alors que tu y ajoutais les fonctions de secrétaire national du PS et membre de l’IS : ‘Maman, qui est le monsieur dans l’entrée ? ». Sans doute est-ce le prix nécessaire de nos convictions.
Présente pour quelques heures encore au Japon, je retiens de la première lettre de François Xavier, figure inaugurale de l’évangélisation de cette ile où il débarqua en août 1549, cet échange avec un bonze dirigeant le monastère de Kagoshima. S’interrogeant sur les mérites respectifs de la jeunesse et de la vieillesse, le premier déclara : « Quand des navigateurs s’éloignent d’un port pour aller aboutir à un autre, quel moment leur est meilleur ? Est-ce lorsqu’ils se voient exposés en pleine mer à la tempête ou près d’aborder au havre vers lequel ils naviguent ? ». Et le bonze de répondre : « Je vous comprends fort bien mais cela n’est pas pour moi qui ne sait pas vers quel port je navigue. Pour qui le sait et à qui le port est ouvert, s’en approcher est le meilleur ; mais moi j’ignore ou, comment et avec qui je débarquerai ».
Je devine que ton séjour au Laos ressemblera à ce port. Tu y poursuivras, aux côtés de ton épouse, cet idéal humaniste qui ne t’a jamais abandonné. Je veux avoir le bonheur d’en reparler avec toi un soir prochain sur les rives du Mékong,
De tout coeur,
Hélène.