Vous trouverez ci-dessous le texte intégral de ma tribune sur la mobilité parue sur le site du Huffington Post. Bonne lecture.
La France du XXIe siècle exporte volontiers ses produits, envoient ses experts soutenir des projets en apportant un savoir-faire prisé à l’étranger et ses cadres, aussi, comme expatriés mais elle n’aime guère pourtant voir partir ses citoyens. C’est en tout cas ce que certains esprits chagrins veulent nous faire croire sans voir le paradoxe dans lequel ils s’enferment. Les uns s’inquiètent du départ des jeunes diplômés qui envisageraient de ne plus revenir. Une commission d’enquête parlementaire, demandée par Luc Chatel, a même parlé en son temps de "la fuite des forces vives". Le choix du titre en dit long sur la perception de la mobilité que certains peuvent en avoir.
De trop nombreux articles font également écho à cette idée erronée selon laquelle une majorité de jeunes souhaiterait faire une partie de leurs études ou de leurs recherches hors de France… pour ne plus y revenir! Que dire, alors que la France, qui se place selon l’UNESCO à la cinquième place mondiale (après avoir été la 3ème en 2012-2013 derrière les Etats-Unis et le Royaume-Uni) dans l’accueil des étudiants étrangers, souffre quant à elle d’un déficit au niveau de la mobilité de ses propres étudiants. Ce point illustre ce faisant un troisième cliché qui tend à soutenir que les Français auraient peur de partir à l’étranger et ne l’encourageraient pas. Ceux qui l’accepteraient le feraient au prix d’un séjour limité, entouré de privilèges et de nombreuses facilités. En d’autres termes, ils partiraient toujours pour de courts séjours et de mauvais motifs! Enfin, dernier a priori: ceux qui partent le feraient pour fuir, fuir une fiscalité confiscatoire, fuir un vieux pays sans avenir, fuir pour devenir ces "spectres de l’absent" comme Victor Hugo exilé à Bruxelles puis Jersey et Guernesey, déjà, se plaisait à les dépeindre. Une fuite certes vraie pour une infime minorité que l’on a un temps envisagée, pour ce motif, de la déchoir de sa nationalité! Il reste que l’on a tendance, en cette matière aussi, à regarder l’arbre plutôt que la forêt!
Les Français qui ont quitté la France ne comprennent pas la mauvaise presse qui leur est faite. Les 3 millions de nos compatriotes qui résident hors de France ne méritent pas ces clichés qui perdurent, attachés pour certains à l’époque coloniale. Ils le comprennent d’autant moins lorsqu’un référendum comme celui organisé au Royaume-Uni vient leur rappeler ce qu’ils sont : de simples immigrés dont le statut est parfois précaire. Et pourtant, ils s’impliquent dans la vie culturelle, économique, sociale et politique de leur pays d’accueil. Ils viennent ainsi gonfler pour beaucoup, fut-ce de façon temporaire, le nombre de Français qui participent à notre rayonnement et notre influence dans les divers domaines d’activité sur les cinq continents.
Afin de mettre un terme à ces lieux communs et offrir une vision moins anecdotique d’une mobilité que l’on croirait inspirée par Pierre Daninos, l’Ipsos, avec le soutien de la Banque transatlantique, a sondé en 2014 les Français quant à leur perception de l’expatriation, puis en 2015 sur le lien et la relation que ceux qui résident à l’étranger continuent à entretenir avec la France.
Même si l’on sait depuis Galbraith que les statistiques sont le superlatif du mensonge, ces sondages nous apprennent que les Français de l’Hexagone non seulement connaissent majoritairement la taille de notre diaspora à l’étranger et le nombre croissant de ceux qui y résident mais pensent également qu’ils sont partis avant tout pour des raisons économiques et fiscales. 92% d’entre eux admettent même avoir une bonne opinion de ceux qui partent. C’est ce qui explique que 72% prévoient de s’installer à l’étranger pendant un temps plus ou moins long, 44% des plus de 45 ans se montrant même prêts à partir avant dix ans tandis que 89% des répondants au sondage expriment le désir de vivre leur retraite à l’étranger (44%) ou vouloir y résider pour s’ouvrir à d’autres cultures (54%) ! Cette France curieuse, ouverte, désireuse d’aller vers l’autre n’est pas celle que les médias et les responsables politiques de droite ou d’extrême droite nous renvoient.
S’agissant des jeunes, les résultats sont plus marquants encore. 91% des jeunes pensent à partir, d’abord pour des raisons linguistiques et d’emploi tandis que 70%pensent que l’expatriation est un atout pour la France. Et si l’idée que l’on partirait pour ne pas revenir est largement diffusée, ayons à l’esprit que 70% d’entre eux envisagent de revenir dans un délai de un à trois ans. L’expatriation oui, mais pour un temps. Quant à ceux pour lesquels cet ailleurs demeure un inconnu, les principaux obstacles à l’envie de bouger sont la crainte d’être coupés de leurs proches, l’âge, l’absence de maitrise d’une langue étrangère ou un attachement exacerbé à la France qui interdise de s’en éloigner (35%). Dans tous les cas, 62% des personnes interrogées affirmaient le désir d’être mieux informées des opportunités de départ à l’étranger tandis que 57% aimeraient voir des services d’accompagnement développés pour mieux les accompagner.
Cette photo des Français établis hors de France étant acquise, j’ai de nouveau sollicité l’IPSOS un an plus tard pour un sondage inédit de 5.685 Français résidant à l’étranger afin d’identifier les liens et les relations que ces derniers entretiennent avec la France.
Le premier cliché d’une population oisive et fortunée vole en éclats quand 74% répondent qu’ils sont actifs et 80% d’entre eux travaillent pour une entreprise, association ou organisme étranger, 67% ayant trouvé du travail sur place dans le cadre d’un contrat de travail soumis au droit du pays de résidence. Ceux qui "fuient la France" auraient donc pour les deux tiers d’entre eux les droits sociaux des éthiopiens, des mexicains ou des vietnamiens ! L’exil n’est pas aussi doré que l’on aimerait l’imaginer. Pour les autres : 15% sont retraités, 3% étudiants, 3% en recherche d’emploi et 5% inactifs.
Prenant le sondage réalisé en 2014 comme un miroir des ambitions exprimées par ceux qui sont restés, il est intéressant de voir l’image renvoyée par ceux qui sont partis.
Contrairement aux raisons qui semblaient pousser prioritairement les personnes à partir, seuls 7% avouent avoir voulu bénéficier d’un régime fiscal plus favorable, 38% pour progresser dans leur vie professionnelle, 26% vivre avec un ou des proches, 54% voyager et partir à l’aventure. 53% avoir un meilleur niveau de vie et trouver un travail, étudier, bénéficier d’un climat plus agréable, apprendre une langue étrangère. Parmi les aspects positifs la découverte d’une nouvelle culture arrive en tête.
S’agissant de leur intégration dans leur pays de résidence les réponses sont ambivalentes.
En effet, par-delà la durée d’un séjour qui postule une intégration personnelle, économique et culturelle (46% des personnes interrogées déclarent vivre hors de France depuis plus de 6 ans) force est de constater que plus le séjour est long, plus ces Français d’ailleurs s’inscrivent sur les listes électorales consulaires et votent pour les scrutins nationaux (élections consulaires, législatives et présidentielles). Fort logiquement, pour 90% des personnes sondées, la citoyenneté est importante et s’exprime par le vote pour 82% qui reste stable en dépit des années qui passent.
Et si la France ne manque pas à 55% d’entre eux, ils sont tout de même 78% à revenir au moins une fois par an pour rendre visite à la famille. Installés à l’étranger, ils n’en demeurent pas moins attachés à notre langue qu’ils pratiquent au quotidien ainsi qu’en attestent leur demande de pouvoir scolariser leurs enfants, d’avoir à proximité une représentation officielle française ou de pouvoir accéder aux programmes de chaines et radios françaises. Pour 98% d’entre eux, la transmission de la langue est importante et c’est dans le cadre familial qu’elle a lieu. La nationalité, aussi, est importante pour 90% et en particulier pour 66% des binationaux. Que l’on imagine un instant l’impact qu’a pu avoir sur eux le récent débat sur la déchéance de nationalités des binationaux…
S’agissant du retour, 50% pensent rentrer en France dans un délai de 5 ans et plus longtemps pour le reste. 62% sentent qu’ils sont perçus comme des étrangers dans leur pays de résidence et 39% quand ils sont en France ! Ils sont inquiets quant aux conditions de retour en France, 30% joyeux et pour 6% cela sera un soulagement. Miroir encore lorsqu’il résulte de ce sondage que si ces Français établis hors de France regrettent majoritairement le système de protection sociale, leur opinion de l’administration française, de la situation économique, du marché du travail et des représentants politiques est moins bonne. Enfin ils pensent avoir un rôle à jouer dans la promotion de leur pays et, à leur retour, auprès de leurs compatriotes.
Ce sont ces premières données chiffrées obtenues dans le cadre d’une enquête réalisée sur un large échantillon qui permettent d’écarter ce miroir brisé ou cette photo sépia que certains nous tendent pour refuser de voir la réalité qui s’offrent à eux. Celle d’une communauté ouverte et libre sur l’avenir. Une communauté différente de celle que la droite instrumentalise ou que le Front national ignore. Et si en fin de compte ce n’était pas cela que l’on refusait de voir? Cette communauté est un atout. Sachons le lui dire et assumons-le.