Dans le monde trouble et instable dans lequel nous vivons l’inquiétude grandit et, avec elle, un questionnement latent sur nos institutions et le fonctionnement de notre démocratie, notamment de ses assemblées délibérantes. A suivre les hérauts du jour, elles seraient comme le reste, "démodées" et illégitimes faute de pouvoir démontrer leur utilité.
 
De façon récurrente, le rôle et la place du Sénat sont remis en question comme en 1946 puis 1969 avec les résultats que l’on connaît. Par démagogie, l’on dénonce son atmosphère feutrée, l’on multiplie les clichés qui lui sont attachés comme ceux sur les avantages indus de ses membres dont le nombre n’aurait d’égal que leur irréalité, l’on critique sa vitesse de travail qui ne serait plus en phase avec le monde connecté de l’immédiateté requise par notre société ! Et pourtant, la loi mérite que l’on prenne le temps de la concevoir et de l’élaborer afin qu’elle soit au plus proche d’une société avide de plus d’égalité et de justice. La loi, pour être utile, doit se faire rare, ce qui impose que l’on prenne le temps de sa construction, de sa rédaction et de son examen contradictoire.
 
Il y a 21 siècles, le bicamérisme répondait déjà à la recherche d’équilibre entre deux légitimités politiques, le Sénat et le peuple (« Senatus populusque »). Sur les six États fondateurs de l’Union européenne, seul le Luxembourg n’en dispose pas. Dans le monde, 77 États ont choisi le bicamérisme et de nouveaux Sénats apparaissent. Les Français établis hors de France le savent par l’écho d’une vie politique d’autant plus riche. Le bicamérisme, j’en conviens, n’est pas une fin en lui-même. Il reste qu’une seconde chambre permet la représentation du plus large spectre politique (Irlande, Slovénie). Elle permet plus communément la représentation des territoires (Allemagne, Pays-Bas, Belgique) ou enfin de minorités ethniques ou religieuses (Bosnie-Herzégovine, Burundi).
 
Sa légitimité, en France, est différente. Outre la représentation spécifique des collectivités territoriales, le bicamérisme est surtout le produit implicite de la Révolution française et de la théorie de la séparation des pouvoirs si chère à Montesquieu. Au souvenir de l’absolutisme monarchique et du mépris dans lequel étaient maintenus les États-Généraux, il est apparu comme un équilibre des pouvoirs entre exécutif et législatif mais aussi au sein même du pouvoir législatif pour garantir la stabilité des institutions. S’inscrivant dans des temps différents, jouissant de légitimités spécifiques, l’Assemblée nationale et le Sénat ont chacun un rôle propre à jouer. Nombre de textes, notamment sur la défense des libertés publiques, trouvent ici des convergences qui font honneur à la démocratie.  Le bicamérisme est une idée moderne, n’en déplaise à ses détracteurs et à ceux qui voudraient de nouveau asservir le Sénat pour la seule fin d’intérêts partisans. Qu’ils se souviennent que l’Histoire n’a finalement retenu de l’hostilité du général De Gaulle à la Chambre haute que le nom de son président : Gaston Monnerville.