Mon intervention lors de la discussion générale sur la Loi de Programmation Militaire

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Je suis chef de file sur la loi de programmation militaire (LPM).  L’examen du texte a débuté le mardi 22 mai dernier.

Après la prise de parole de la Ministre des armées, Florence Parly, et des deux rapporteurs du texte, j’ai eu l’occasion de m’exprimer lors de la discussion générale, préalable à l’examen des articles de cette LPM et aux 157 amendements déposés sur ce texte.

Voici la vidéo de mon intervention : http://videos.senat.fr/senat/2018/05/encoder1_20180522140626_1_6535000_7157000.mp4

Et le texte de mon discours :

Intervention de Madame Hélène CONWAY-MOURET,

Vice-Présidente de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées,

Sénatrice représentant les Français établis hors de France

Loi de Programmation Militaire

Madame la Présidente,

Madame la Ministre,

Chers (es) Collègues,

Avant d’entrer dans l’examen du projet de loi de programmation, je voudrais tout d’abord avoir une pensée pour les femmes et les hommes engagés dans les missions qui leur sont confiées en France et dans le monde pour assurer notre sécurité, saluer l’ensemble de nos forces armées, rendre hommage aux blessés et ceux qui ont perdu leur vie au service de notre pays. J’ai une pensée particulière pour toutes nos femmes qui font de notre armée la 2ème la plus féminisée d’Europe après la Norvège.

Cette LPM s’inscrit malheureusement dans un contexte sécuritaire sous tension. Tension interne, puisque la France reste sous une menace terroriste constante. Les événements du 12 mai dernier dans le quartier de l’Opéra à Paris le montrent une nouvelle fois. Tensions externes, liées à cette menace terroriste, mais également à beaucoup d’autres (la piraterie, le retour des Etats-puissances, l’effondrement de certains Etats, les conséquences du réchauffement climatique…). Devant ces menaces, les moyens des forces armées doivent non seulement être consolidés mais également relevés comme ils ont commencé à l’être avec l’actualisation de la précédente LPM en juillet 2015 et comme le prévoit le texte.

Les différentes opérations militaires appellent à une progression du budget afin de permettre à nos soldats de réaliser leurs missions dans les meilleures conditions de sécurité possibles.

Ainsi, il faut renforcer et moderniser les équipements et les installations de nos armées. Ils le seront grâce à la présence sur nos territoires d’un tissu de 10 grands groupes industriels et près de 4 000 PME dont 350 considérées comme stratégiques. Cette industrie de défense est un fleuron national qui tire l’ensemble de notre économie vers le haut, notamment par les emplois créés qui ne sont pas délocalisables. Maintenir notre puissance et nos capacités d’action, c’est aussi garantir que notre industrie de défense continue à être un secteur-clé de notre économie.

Le volontarisme affiché par le gouvernement devrait permettre aux industriels de la défense de produire davantage. Mais il ne faudrait pas que la planification 2019-2025, dont la plus importante part des dépenses interviendra après 2022, reste modeste en début de programmation et nous mette en position d’infériorité dans le paysage de la Base Industrielle et Technologique de Défense en cours de composition. 

La Direction Générale de l’Armement pourrait être tentée d’être précautionneuse lors de la phase transitoire de relèvement du niveau d’autorisations d’engagement, grippant ainsi le système et notamment les carnets de commandes des industriels.

Cette LPM présente des perspectives positives pour les forces armées avec la confirmation d’une hausse des crédits et la volonté d’accélérer certains programmes pour chacune des trois armées : Scorpion pour l’armée de terre, MRTT pour l’air, les patrouilleurs pour la Marine nationale (avec déjà quelques reports).

L’enjeu essentiel de ce projet de loi réside aussi dans la confirmation de l’intention politique de consolider notre autonomie stratégique tout en renforçant nos partenariats au sein du continent européen. C’est un des fils rouges du rapport annexé. Si l’intention est louable, il nous faudra demeurer prudent et réaliste sur la capacité collective des Européens à cheminer ensemble. Nos cultures militaires sont différentes et les analyses stratégiques souvent divergentes, cela n’exclue évidemment pas des convergences. La prise de conscience est là, la coopération structurée permanente et la mise en place du Fonds européen en témoignent, mais il y a encore loin de la coupe aux lèvres en matière de réalisations. 

Après les annonces et la communication qui les entoure, je souhaite revenir sur un certain nombre de points qui sont autant d’interrogations à ce stade.

Le premier est un constat, cette loi de programmation militaire est la 13ème et ses orientations s’inscrivent dans une forme de continuité avec ce qui a été décidé par le Président Hollande, en 2015 quand avait été amorcée une remontée en puissance de notre défense, en gelant la baisse des effectifs et en stabilisant les crédits.

Le second concerne la trajectoire financière. Lors des nombreuses auditions menées au sein de notre commission, les militaires et les industriels ont unanimement salué l’augmentation des budgets et des effectifs inscrite dans la LPM 2019-2025. Cependant, derrière cette augmentation, les premiers doutes se font jour. Comme pour les ressources financières, et cela a été dit avant moi, sur les 6 000 emplois promis, 3 emplois sur 4 sont envisagés sous le prochain quinquennat. 

Et si leur fléchage vers les secteurs du renseignement et de la cyber-défense ou la protection des points sensibles nous semblent pertinents, ceux dédiés aux exportations nous interpellent. 

En outre, d’un point de vue global, il serait utile que vous nous précisiez le reste des affectations prévues et pourquoi la montée en puissance de ces effectifs ne se fait pas de manière continue à partir de l’an prochain ce que nous proposons d’ailleurs.

Nous comptons sur vous, Madame la Ministre, pour la mise en œuvre d’une gestion exemplaire des Ressources humaines dans nos armées. 

Si nous partageons un certain nombre de perspectives figurant dans ce texte, il n’en demeure pas moins qu’il soulève déjà quelques interrogations, notamment quant aux conditions de travail et ce débat nous permettra sans doute d’y répondre.

Ainsi nous nous interrogeons par exemple sur les 400 postes fléchés prioritairement sur les exportations alors que les moyens consacrés au recrutement, à la formation, à la santé et à de nombreux autres services des armées ne sont pas suffisants et mériteraient de l’être.

Derrière ce texte, il y a des femmes et des hommes à qui l’on confie des missions et qui auront à subir les conséquences des décisions prises sur le terrain, si les objectifs fixés n’étaient pas remplis.

Troisième point d’inquiétude cette LPM abrite en son sein de réelles fragilités liées à une trajectoire budgétaire surprenante. 

Pour répondre aux ambitions affichées par le gouvernement, l’effort reposera sur une trajectoire budgétaire dont la moitié sera réalisée après les élections de 2022. Or le budget alloué dépendra de la croissance future et de la situation des finances publiques. Néanmoins les investissements militaires ne peuvent se faire au détriment d’autres domaines régaliens. Une augmentation progressive des phasages budgétaires éviterait de ponctionner les autres ministères.

Autre lacune : les infrastructures sont fragilisées par une répartition des crédits peu opportune. Il aurait fallu, là aussi, un effort plus régulier car en l’état, à l’horizon 2025, 60% des infrastructures de la défense seront dégradées, voire inutilisables.

Concernant les équipements, les lacunes capacitaires ne seront pas résorbées d’ici la fin de programmation, et nombre d’entre eux n’auront pas pu être rénovés. Cette loi de programmation militaire, au budget conséquent, contient plusieurs faiblesses que nous ne pouvons occulter et auxquelles nous serons attentifs chaque année lors du vote du budget.

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La Commission a adopté la LPM en raison de la remontée en puissance des moyens annoncés pour sécuriser les ressources de nos armées. L’enjeu pour nous, parlementaires, sera de nous assurer de la réalité de ces moyens et d’en contrôler la bonne application.

Grâce aux nombreux amendements portés notamment par les commissaires socialistes de la CAED, nous avons sanctuarisé les crédits de la LPM, affirmer le rôle du parlement, renforcer le volet immobilier, simplifier les processus d’acquisition, préserver les droits des pensionnés et invalides de guerre, préciser les dispositions relatives aux incompatibilité liées à l’éligibilité des militaires en activité. 

La triste réalité est qu’aujourd’hui, seule la moitié du matériel militaire est utilisable. De nombreux parcs d’équipements souffrent d’une faible disponibilité (hélicoptères de type Gazelle, véhicules terrestres de type VAB) en raison d’une maintenance déficiente, d’une usure accélérée engendrée par la multiplicité des engagements ou parce qu’ils sont trop vieux. Nous avons adopté en conséquence des amendements en Commission visant à la modernisation des équipements de nos forces.

Concernant l’Innovation, les commissaires de la CAED ont permis un assouplissement du cadre juridique des achats d’équipement et permettre une diffusion plus rapide et moins coûteuse de l’innovation. 

Dans le domaine du Renseignement, le texte issu de la commission nous semble garantir une meilleure association du Parlement, dans son rôle de contrôle pour un partage efficace des informations.

En parallèle, pour ce qui est de la cyberdéfense, la Commission a adopté à l’unanimité des amendements de contrôle sur les communications électroniques et le durcissement des amendes si les opérateurs ne transmettent pas les données à l’ANSSI. Nous avons aussi obtenu que soit garantie la constitutionnalité des mesures de la LPM en matière de cyberdéfense. 

Autre sujet d’importance, la question de l’Immobilier, les commissaires socialistes ont fait adopter un amendement garantissant un effort financier conséquent en faveur de la politique immobilière jusqu’en 2023. Ceci permettra l’amélioration des conditions d’exercice du métier pour loger les militaires et leurs familles.

Nous souhaitons maintenant dans le cadre du débat renforcer encore la priorité affichée par votre gouvernement : faire de cette LPM, une loi à hauteur de femmes et d’hommes pour maintenir un modèle d’armée complet.

Enfin, je défendrai à titre personnel et avec certaines et certains de mes collègues des amendements en faveur de la lutte contre les discriminations et pour la promotion de l’égalité femmes-hommes dans nos armées. Des amendements aussi pour consolider les Service militaire volontaire et son ouverture à l’ensemble des jeunes Français, y compris ceux résidant à l’étranger. Des amendements enfin pour accompagner nos PME.  

Nous n’avons pas abordé la LPM comme un exercice purement comptable, mais comme un texte ayant vocation à protéger les Françaises et les Français. Embrassant les défis stratégiques et technologiques qui s’imposent à nous, les effets induits par les progrès technologiques qui y sont dessinés pourront se traduire par des applications civiles.

Il est ici important de le rappeler dans la mesure où l’effort financier de cette programmation militaire repose sur les contribuables.

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Contrairement à ce qui s’était passé avec la Revue stratégique, nous allons être associés à l’élaboration de ce texte, ce qui nous permettra de jouer notre rôle de Parlement.

Nous soutenons l’augmentation des crédits et des effectifs contenue dans cette LPM.

Nous saluons également l’ambition européenne de ce texte. Nous restons favorables à une réelle coopération militaire européenne jetant les bases d’une véritable autonomie stratégique.

Nous serons à vos côtés, Madame la Ministre pour faire en sorte que cette trajectoire budgétaire soit respectée et que les avancées européennes se concrétisent. Nous réservons par conséquent notre position pour le moment, en attendant de suivre les débats et de connaître le sort qui sera réservé à nos propositions d’amélioration. 

Je vous remercie.

 

 


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