Ma participation à la 14ème édition du Forum parlementaire sur la sécurité et le renseignement

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J’ai été ravie de participer à la 14ème édition du Forum parlementaire sur la sécurité et le renseignement qui s’est déroulé jeudi 20 juin 2019 à Paris, à l’Assemblée nationale. Ce forum s’est tenu en présence de collègues parlementaires du Sénat et de l’Assemblée nationale, de Robert Pittenger, de chercheurs, de géopolitologues et d’experts du monde entier. 

Lors de cet événement, tourné cette année sur la lutte contre le financement du terrorisme, différents thèmes ont été abordés comme l’évolution de la menace terroriste, les améliorations réalisées et les axes qui doivent être renforcés dans la lutte notamment la traçabilité des flux financiers et le renforcement de la coopération internationale.

Vous pouvez trouver le discours d’ouverture que j’ai prononcé pour l’occasion ci-dessous.

« Mes chers collègues parlementaires,

Cher Robert Pittenger, 

Mesdames et Messieurs, 

C’est avec un grand plaisir que nous vous accueillons à Paris avec mes collègues députés et sénateurs, capitale dont la langue fut longtemps la langue de la diplomatie et qui continue à oeuvrer aujourd’hui pour trouver des solutions politiques à toutes les tensions dans le monde, même si nous prenons nos responsabilités et participons à des interventions militaires quand cela est nécessaire. 

Nous sommes réunis pour la 14èmeédition du Forum parlementaire sur la sécurité et le renseignement. Je tiens à saluer cette belle initiative qui participe au renforcement de la coopération internationale dans ce domaine. Car en 2019, à l’heure où nos sociétés n’ont jamais été aussi interconnectées et interdépendantes nous voyons paradoxalement les fondements de nos démocraties attaqués alors qu’elles font rêver les peuples encore opprimés par des régimes autoritaires et qu’elles devraient continuer à servir de modèle, voire d’objectif à atteindre. Il est donc plus que jamais indispensable pour les pays démocratiques de nous connaître et pour cela de nous parler pour nous comprendre, travailler ensemble et nous préparer conjointement à relever les défis auxquels nous sommes confrontés. Rien de plus précieux que les vies humaines, la vie de nos compatriotes. Il ne suffit plus de répondre mais bien d’anticiper pour mieux les protéger. La diplomatie parlementaire répond à cette nécessité : en croisant nos points de vue, nous serons plus à même de nous coordonner et de prévenir les menaces en mettant en œuvre une législation qui à la fois protège et respecte la liberté individuelle.

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Nous assistons à un changement de paradigme, une nouvelle distribution des cartes entre différents pôles de puissances. En effet, depuis la fin de la Guerre Froide en 1991, les grilles de lecture que nous avions habitude d’utiliser pour comprendre le monde ne fonctionnent plus pour décrire la réalité même si malheureusement certains continuent à les utiliser. 

Je partage la vision de l’ancien ministre français des Affaires étrangères, Hubert Védrine, lorsqu’il qualifie le monde agité et imprévisible dans lequel nous vivons de « chaos instable ». 

Cette situation s’explique par un nouveau jeu d’acteurs, dont aucun ne conduit totalement la partie de la globalisation. Il me paraît important de le décrire succinctement, puisque c’est dans ce contexte en mutation qu’évoluent des menaces protéiformes. 

Les grandes puissances sont en concurrence. La suprémacie des États-Unis, s’ils demeurent la première puissance militaire mondiale, est mise au défi par des pays que l’on disait émergents telle la Chine par exemple. Celle-ci concrétise progressivement sa stratégie de maîtrise de l’océan Indien et des mers d’Asie orientale grâce à la mise en place d’un chapelet de bases sur les grandes routes maritimes. L’autre grande puissance, la Russie, affiche une énergie renouvelée en matière d’équipements militaires cela vaut pour la Chine aussi et semble engagée dans la reconquête d’une partie de son ancienne zone d’influence. Je pense ici plus particulièrement à la Crimée et l’Ukraine.

Au milieu de cette évolution et de ce grand mouvement de positionnement stratégique de certains pays continents l’Europe doit trouver sa place pour être un interlocuteur sérieux, voire un allié solide. Je saisis l’opportunité de cette rencontre où vous venez des quatre coins du monde pour vous livrer mon analyse du rôle du Vieux continent dans ce nouveau paysage. 

Si l’enjeu sécuritaire a été négligé sur ce vaste territoire en paix depuis la fin de la dernière guerre mondiale il a ressurgi brutalement avec la vague d’attentats terroristes qui l’a frappé. L’Union européenne a également été touchée par une succession de chocs géopolitiques majeurs : l’ambition pour l’Islam radical d’instaurer un califat au Mali puis en Syrie ; le réveil Russe qui inquiètent les pays à l’Est du continent ; la transformation politique de la Turquie ; une vague de migrations sans précédent et enfin le Brexit, qui ampute la construction européenne du tiers de son potentiel militaire, d’un membre permanent au Conseil de sécurité et d’une puissance nucléaire. 

La liste des risques en matière de sécurité est longue. Et pourtant l’Union ne consacre que 217 milliards de dollars à la défense de ses 550 millions de citoyens. L’investissement militaire est certes reparti à la hausse avec comme objectif 2% du PIB mais il est important que nos opinions publiques soutiennent ces efforts financiers conséquents quand beaucoup d’autres domaines en demandent autant je pense à l’éducation et le social par exemple.

Clemenceau rappelait qu’ « en politique, il faut savoir ce que l’on veut ; une fois qu’on le sait, il faut avoir le courage de le dire ; une fois qu’on l’a dit, il faut avoir le courage de le faire. » Je pense que l’Union européenne se trouve précisément à la croisée des chemins, à un moment charnière de son Histoire. Elle doit aujourd’hui avoir le courage de faire c’est à dire protéger les citoyens européens. 

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Je le disais en introduction : nous avons de grands défis à relever. Pour réussir, nous devons coopérer. Car si notre monde est de plus en plus instable, il est aussi de plus en plus interconnecté à mesure que le numérique se déploie. Nous devons faire face à l’avènement d’un cyberespace, nouveau terrain de jeu sur lequel les menaces se propagent rapidement. Elles ne connaissent ni frontière terrestre ni entrave. Le terrorisme, et son évolution en cyberterrorisme, en constituent les plus graves expressions. 

Nous devons éliminer toute forme de naïveté et en appréhender tous les dangers. C’est pourquoi je voudrais en dire quelques mots. 

Au lendemain des attentats du 11 septembre 2001, l’opinion publique internationale a découvert que l’utilisation des systèmes d’information faisait dorénavant partie intégrante de la stratégie des groupes terroristes : diffusion de la propagande sur les sites et les réseaux sociaux ; utilisation des forums pour recruter de nouveaux membres ou collecter des fonds ; utilisation de messageries cryptées et anonymisées… Les récents attentats en France ont accentué cette prise de conscience. En exploitant le cyberespace et ses zones de flou juridique, Daech a réussi à délivrer sa propagande à un large public, permettant à des milliers d’individus de se radicaliser silencieusement. On estime ainsi que 95% de l’endoctrinement passe par Internet. 

De plus en plus, la guerre devient hybride, matérielle et immatérielle. Aujourd’hui, le cyberespace représente un nouveau champ de confrontation. Demain, toute crise intègrera une dimension cyber. Ainsi, la sécurité devient nécessaire dans le cyberespace comme dans tous les autres : sur terre, sur mer, et dans l’air. 

Le cyber perturbe l’équilibre des forces. 

En premier lieu, il nie la hiérarchie traditionnelle entre les « grands » qui peuvent montrer des vulnérabilités et les « petits » dotés d’un savoir-faire technologique extrêmement élevé (je pense à la Finlande ou à l’Estonie). 

En second lieu, il engendre de nouveaux acteurs. Les États eux-mêmes sont susceptibles de passer du rôle de protecteur au rôle de victimes et se trouvent potentiellement opposés à des organisations transnationales aux contours flous.  

Le cyber rend vulnérables nos États et nos sociétés. 

Le premier risque réside dans le sabotage de nos infrastructures d’importance vitale, telles que nos usines chimiques, nos réseaux d’alimentation en eau ou bien nos centrales nucléaires. Ces atteintes peuvent affaiblir durablement un pays et sa population, aussi sûrement qu’un embargo. En 2008, les cyberattaques contre la Géorgie ont démontré comment celles-ci pouvaient venir en appui à des forces conventionnelles dans le cadre d’un conflit armé. 

Le second risque, plus diffus, vise de nouvelles cibles : nos démocraties. Les exemples de tentatives de manipulations d’élections ne manquent pas et ont jeté une lumière crue sur ce phénomène : l’élection présidentielle américaine de 2016 avec le vol et la divulgation de données de responsables démocrates ; l’élection française de 2017 avec la fuite de données internes au mouvement « En marche » ; l’élection brésilienne de 2018 avec l’afflux des « fake news »…Toutefois, ce ne sont peut-être pas les actions les plus visibles, comme celles que j’ai citées, qui sont les plus dangereuses, mais le minage quotidien de la confiance dans les institutions et les valeurs démocratiques. 

Face à cette menace non militaire, non étatique, non physique, mais dont les effets dévastateurs sont constatés généralement lorsqu’il est déjà trop tard, les stratégies classiques de dissuasion rencontrent des limites. 

Il est donc urgent d’agir.  

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Les États, conscients des risques encourus pour la sécurité nationale et l’exercice de la souveraineté dans cet univers hostile, changeant et toujours innovant, ont pris un certain nombre de mesures.

C’est le cas en France, où la question n’est plus de savoir si nous pourrions être attaqués : nous l’avons déjà été, jusqu’aux plus hauts sommets de l’État, environ 700 fois l’année dernière. 

Dès lors, le Livre Blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2013 a élevé la cyberdéfense au rang de priorité nationale. Nous disposons d’un commandement militaire de cyberdéfense (le « Comcyber ») depuis 2017 et nos forces ont récemment été dotées d’une doctrine de lutte informatique offensive (LIO). Enfin, la dernière loi de programmation militaire pour 2019-2025 a prévu le recrutement par les Armées de 1 000 cybercombattants supplémentaires et un budget dédié de 1,6 milliard d’euros. 

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Mais compte-tenu des interdépendances accrues qui caractérisent nos sociétés, nous avons intérêt à unir nos efforts plutôt qu’à répondre en ordre dispersé. Ce n’est qu’à un haut niveau de coopération, à l’échelle européenne et à l’échelle mondiale, que nous pourrons inventer et promouvoir des normes pour éviter que le cyberespace ne se transforme en « Far West ». 

Pourtant, à ce jour, aucun accord multilatéral n’a pu être trouvé pour établir des principes de gouvernance accepter par tous. Le manque d’harmonisation des pratiques et des normes permet aux cyberterroristes de passer entre les mailles du filet. 

Nous voyons se dessiner la question du partage des responsabilités. Alors même que le caractère profondément transnational de la problématique cyber devrait nous inciter à créer des partenariats forts. Le partage des capacités est d’abord perçu comme un abandon de souveraineté et une faille révélatrice des forces et des vulnérabilités. 

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En quelques mots, je dirai que la cyberdéfense implique des alliances ; et les alliances impliquent la confiance. 

Là se trouve justement l’objectif de notre rencontre de ce jour. C’est en allant au contact les uns des autres que nous pourrons apporter une réponse globale au phénomène terroriste, sans doute l’un des plus grands périls du XXIème siècle. 

Je voulais partager mes analyses avec vous avant de vous quitter. Je suis attendue pour faire une intervention au bureau du Sénat dans lequel je siège en tant que vice-présidente. Cependant, je tenais particulièrement à participer à cette grande réunion en vous livrant ces quelques observations, toutes fondées vous l’aurez compris, sur une politique de la main tendue. Si toutes celles et ceux qui croient et défendent la démocratie sont prêts à la saisir nous serons les plus forts. Je voudrais terminer par cette pensée de Socrate « Le savoir est la seule matière qui s’accroit quand on le partage ». 

Je vous remercie pour votre attention et vous souhaite de bons travaux. »


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