Je réponds au journal Le Temps sur l’Europe et l’OTAN

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À l’occasion de mon déplacement à Lausanne, où j’ai participé à une conférence organisée par la Fondation Jean Monnet sur le thème « La France et la construction européenne », j’ai répondu au journal Le Temps sur l’autonomie stratégique européenne et le lien transatlantique.

Voici l’article :

La France dans l’OTAN, un air de divorce

Le prochain sommet des chefs d’Etat ou de gouvernement des pays membres de l’OTAN, les 3 et 4 décembre à Londres, s’annonce explosif. Déjà chargé d’incertitudes en raison du Brexit et des élections du 12 décembre au Royaume-Uni, l’agenda de la réunion commence à ressembler à un règlement de comptes annoncé. La décision des Etats-Unis de laisser, dans un premier temps, le président turc Recep Tayyip Erdogan envahir le nord de la Syrie a rompu, selon Paris, le pacte de confiance qui lie les 29 pays membres de l’Alliance atlantique, dont la Turquie est membre depuis février 1952.

Au point qu’Emmanuel Macron a lui-même décidé de monter au créneau dans un entretien à l’hebdomadaire The Economist: «Ce qu’on vit actuellement est la mort cérébrale de l’OTAN», affirme le président français. Avant de dénoncer «l’absence totale de coordination dans le processus de décision stratégique» au sein de la plus puissante coalition militaire mondiale, dont le commandant en chef est, depuis sa fondation en 1949, toujours un général américain.

Lire aussi la tribune d’Emmanuel Macron: «Pour une Renaissance européenne»

Constat et frustration

L’accusation d’Emmanuel Macron repose sur un constat et une frustration. Le constat est celui de l’incapacité des Européens à se battre pour une véritable autonomie de décision par rapport aux Etats-Unis de Donald Trump. Soutien du futur fonds de défense européen, crédité d’un budget prévisionnel de 13 milliards d’euros, le chef de l’Etat français craint que l’Allemagne ne cale trop rapidement devant les pressions américaines, et ne renonce aux projets ambitieux de construction commune d’un futur char et d’un futur avion de combat.Abonnez-vous à cette newsletter  J’accepte de recevoir les offres promotionnelles et rabais spéciaux.

Hexagone Express

L’Elysée avait diversement apprécié qu’en mars dernier Angela Merkel préfère parler d’un porte-avions européen, alors que la coopération dans les blindés et l’aviation est bien plus facile à mettre en place. Coïncidence éloquente: l’entretien présidentiel à The Economist est d’ailleurs sorti vendredi, jour de la visite à Berlin du secrétaire d’Etat Mike Pompeo. Lequel a insisté sur les «liens étroits» des deux pays en matière de défense, aux côtés de la chancelière qui a, pour sa part, jugé «exagérés» les propos de Macron.

La frustration française tient dans l’attitude des alliés européens en matière de commandes d’armement. En octobre 2018, la décision du gouvernement belge d’acheter des chasseurs F35 plutôt que des Rafale ou des Eurofighter Typhoon a prouvé la dépendance des membres de l’UE vis-à-vis du complexe militaro-industriel américain. Bis repetita en septembre dernier, lorsque Washington a donné le feu vert pour vendre 32 autres F35 à la Pologne, dont le gouvernement issu du parti Droit et justice flatte dès qu’il le peut Donald Trump.

«Beaucoup plus loin»

«Si l’augmentation des budgets de défense exigée par Trump doit se traduire par une augmentation des achats de matériels américains, nous aurons perdu sur tous les tableaux», nous confiait en octobre un officier français en poste à Bruxelles. «La défense européenne existe au niveau de projets communs, mais il manque un geste fort, majeur. Or avec 270 milliards d’euros de dépenses militaires, les européens pourraient aller beaucoup plus loin» note la sénatrice française Helene Conway Mouret, invitée vendredi de la Fondation Jean Monnet à Lausanne

Une question se pose dès lors sur la volonté réelle d’Emmanuel Macron, dont l’une des toutes premières rencontres avec Donald Trump lors du sommet de l’OTAN en mai 2017 à Bruxelles avait donné lieu à une poignée de main rugueuse, commentée par tous les médias. La France occupe en effet une position particulière au sein de l’OTAN. Membre fondateur de l’Alliance atlantique, elle en quitta le commandement intégré en mars 1966 lorsque le général de Gaulle décida de fermer les bases militaires américaines sur son territoire.

S’ensuivirent quarante années de relations distantes, jusqu’à la décision prise par Nicolas Sarkozy, en novembre 2007, de réintégrer l’état-major opérationnel de l’Alliance. Le résultat de ce rapprochement fut l’intervention de l’OTAN en Libye, à partir de mars 2011, dirigée depuis le QG méditerranéen de l’Alliance à Naples. Avec les conséquences que l’on sait sur la déstabilisation de la région, faute de pouvoir mettre en place une force de maintien de la paix après la chute du régime de Mouammar Kadhafi.

Signal majeur du divorce transatlantique

Remettre en question cette place dans le commandement intégré serait un signal majeur du divorce transatlantique, à l’heure où Donald Trump multiplie ses agressions commerciales contre l’Europe. Mais cela reviendrait aussi à signaler l’isolement de la France, peu suivie sur ce terrain par des alliés avant tout préoccupés de maintenir le bouclier de sécurité de l’OTAN et de son article V, qui prévoit l’intervention de tous si l’un d’entre eux est menacé. «Il n’est pas question de sortir de l’OTAN poursuit Hélène Conway Mouret. Macron souligne juste que l’Europe se retrouve seule». Le sommet des 3 et 4 décembre permettra de voir combien, parmi ses pairs, ont entendu son appel.


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