Dépôt d’une proposition de loi en mon nom sur la discrimination au sein de la haute fonction publique – article du Monde du 18 juin 2020

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Discriminations : une proposition de loi pour « faire exploser le plafond de verre » dans la haute fonction publique

Avec cette PPL, les auteurs veulent en finir avec le « système » de l’entre-soi qui « favorise les Blancs dans les hiérarchies » et « fonctionne par copinage et réseaux ».

Par Louise Couvelaire

C’est une proposition de projet de loi (PPL) qui veut faire « exploser le plafond de verre », dans la haute fonction publique comme dans les organes de direction des entreprises privées, afin de permettre à certaines catégories de la population, diplômées mais sans réseau, d’accéder à des postes à responsabilité.

« La non-représentativité dans les hautes sphères d’une partie des Français, issus des quartiers populaires, mais pas seulement, c’est tout le débat du moment, tout le problème », explique Abdelkader Haroune, à l’origine du projet. Ce commissaire divisionnaire de police fait référence aux récentes mobilisations contre le racisme et les violences policières, un peu partout en France. « S’il y avait davantage de personnes issues du peuple dans la hiérarchie, il y aurait moins de défiance, explique-t-il. Les personnes victimes de discriminations ou témoins de comportements déplacés auraient plus de facilité à en faire part, et plus de chances d’être entendues. »

En mai 2018, Abdelkader Haroune a intégré le Conseil présidentiel des villes(CPV), lancé en grande pompe par Emmanuel Macron. Composée de vingt-cinq personnalités issues des quartiers difficiles ou œuvrant pour ceux-ci, cette entité était censée prendre le pouls des territoires urbains fragiles et être le laboratoire à idées de l’exécutif, en matière de politique de la ville. Le président de la République, qui s’était engagé à convoquer ses membres tous les six mois, ne les a jamais revus.

« Aucun projet lancé »

Trois d’entre eux ont claqué la porte depuis le mois de décembre. Dont Saïd Hammouche, fondateur de Mozaïk RH, agence de recrutement spécialisée dans la diversité. « Le premier déserteur du CPV, c’est Emmanuel Macron, dit-il. Nous n’avons malheureusement aucune victoire à notre actif, aucun projet lancé, aucune nomination, aucune expérimentation en cours, regrette-t-il. Pourtant, ce n’est pas faute d’avoir bossé, pas faute d’avoir soumis des idées. » La PPL « relative à la représentativité sociale » en fait partie.

Cette PPL a une histoire singulière. Elle a germé au sein de cette nouvelle instance voulue par le chef de l’Etat, s’est d’abord heurtée au silence du ministère de la ville et du logement, de Matignon et de l’Elysée, puis au refus de la présidence du groupe La République en marche (LRM) à l’Assemblée nationale. Résultat, c’est une sénatrice socialiste qui va la porter devant le Sénat, dans le cadre d’une niche parlementaire − elle doit être débattue en octobre −, et deux députés dissidents du groupe LRM qui vont la soutenir dans l’Hémicycle.

« Personne ne nous a répondu pendant plus de six mois », déplore le commissaire Haroune. Qu’importe, avec Saïd Hammouche et quelques autres membres du CPV, ils ont « contourné » les obstacles. « On n’a pas lâché », disent-ils.

« Si la seule réponse de l’Etat face aux mobilisations actuelles se concentre sur les modes d’interpellation, il se trompe lourdement, estime le député du Nord Dimitri Houbron, soutien du projet, ex-LRM qui a rejoint le 10e groupe de l’Assemblée créé au mois de mai, Agir ensemble. Ce qui est en cause est bien plus profond. On ne peut demander aux gens de faire la République si la République ne leur trouve pas de place. »

« C’est un vrai gâchis »

Du côté du ministère de la ville et du logement, on acquiesce − « Nous avons bien reçu ce projet » −, on se justifie − « Cela demande de la coordination interministérielle, notre calendrier a été bousculé par la crise du Covid-19 » − et on tente de rattraper le coup − « C’est inscrit à l’ordre du jour de la séance du Conseil présidentiel des villes, réuni ce jeudi 18 juin par le ministre de la ville . » Un peu tard.

La sénatrice socialiste Hélène Conway-Mouret a déposé cette proposition au Sénat auprès de son groupe. « Emmanuel Macron fait avec le CPV ce qu’il a fait avec Jean-Louis Borloo, il sollicite, et puis il n’en fait rien, c’est un vrai gâchis, dit la sénatrice. Cette PPL est un texte tremplin, l’occasion de porter le sujet des discriminations au débat. » Elle trace les grandes lignes, « l’esprit », les détails restent « à définir ». Magistrat à la Cour des comptes, préfet, directeur d’administration centrale, recteur d’académie, ambassadeur… il existe environ 700 postes discrétionnaires, c’est-à-dire « à la décision du gouvernement », au sein de la haute fonction publique, selon les estimations des auteurs de la PPL. Sans compter les milliers de postes − 15 000 à 20 000 − censés être accessibles par le mérite, les concours et la promotion interne.

Les membres du CPV ont demandé à Matignon des « statistiques et données » sur ces nominations « à la discrétion », en vain. « Pas moyen d’obtenir la moindre information. » Sans surprise, leurs investigations, « non scientifiques », précisent-ils, montrent que le compte n’y est pas. Loin de là. « Il y a, en France, un pouvoir administratif qui n’a aucune légitimité populaire et qui confisque la souveraineté du peuple », dénonce M. Haroune. « Ce sont toujours les mêmes qui occupent ces postes, les mêmes profils  masculin et blanc  sortis des mêmes moules », a constaté la vice-présidente du Sénat, Mme Conway-Mouret.

« Copinage et réseaux »

Avec cette proposition de projet de loi, les auteurs veulent mettre l’accent sur « un problème structurel de la société française » et en finir avec le « système » de l’entre-soi qui « favorise les Blancs dans les hiérarchies » et « fonctionne par copinage et réseaux »« Ce que nous n’avons pas, souligne M. Haroune. Dans les rangs, les minorités sont présentes, pour faire la garde devant l’Elysée, oui, mais, en haut, il n’y a personneNotre proposition de loi est basée sur la méritocratie, quelles que soient vos origines sociales. »

Au programme, la création d’un observatoire national pour l’égalité des chances dans la fonction publique et son pendant pour le privé, un observatoire de l’inclusion économique et sociale pour la cohésion des territoires. « Ils auront pour mission de faire un état des lieux, d’analyser les politiques, de pointer les défaillances, de valoriser les bons élèves », explique le député du Val-d’Oise, Aurélien Taché, soutien du projet, qui a quitté le parti présidentiel pour le 9groupe de l’Assemblée, Ecologie Démocratie Solidarité.

Le critère retenu pour ces évaluations n’est pas ethnique, mais géographique, déterminé en fonction du lieu où on a passé son baccalauréat. « On ne veut pas de quotas, on veut de la transparence sur les indicateurs et de l’égalité de traitement, à compétences égales », insiste M. Haroune. Parmi les pistes de réflexion : l’aménagement des sélections d’entrée dans les établissements prestigieux de l’enseignement supérieur et pour les concours d’entrée dans la fonction publique d’Etat, pour les candidats ayant obtenu leur baccalauréat au sein d’un établissement scolaire situé dans un quartier prioritaire de la politique de la ville. Les modalités sont encore à définir. « Il peut s’agir par exemple de points en plus accordés aux candidats élèves des lycées classés en REP [réseau d’éducation prioritaire] », avance M. Haroune, qui suggère également une recomposition des jurys aux épreuves orales.

La PPL propose également de nommer des délégués du préfet dans les quartiers prioritaires, des postes qui seraient principalement accordés à des personnes ayant déjà eu une expérience dans ces territoires. Les entreprises seront quant à elles obligées de notifier aux candidats non retenus le motif du refus. « Les entreprises peuvent mentir, mais ça leur impose une contrainte, ça les oblige à faire un effort, et peut-être à se poser les bonnes questions », explique M. Hammouche.

Le 14 juin, Julien Denormandie, le ministre de la ville et du logement, a annoncé une nouvelle série de testings (envoi pour la même offre d’emploi de deux CV dont l’unique différence est le nom du candidat et/ou l’adresse) dans les grandes entreprises. « A quand un testing dans la haute fonction publique ? », interroge M. Haroune.


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