« G5 Sahel : l’avenir de l’opération Barkhane au menu du sommet de N’Djamena »

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Lors du sommet de N’Djamena qui s’est tenu les 15 et 16 février, la question du maintien de l’armée française au Sahel dans le cadre de l’opération « Barkhane » a été au centre des discussions.

Il est essentiel que les pays du G5 Sahel définissent leurs priorités et que nous accompagnions les uns dans la reconstruction d’un État de droit, et les autres dans le renforcement de leurs systèmes publics dont font partie la sécurité et la défense.

Retrouvez ci-dessous l’article d’Élise Vincent dans Le Monde dans lequel je suis citée.

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G5 Sahel : l’avenir de l’opération « Barkhane » au menu du sommet de N’Djamena

L’engagement de l’armée française au Sahel, et la question de son éventuel retrait dans la région, seront au centre des discussions qui s’ouvrent dans la capitale tchadienne. 

Par Elise Vincent

Partir, un peu, mais quand ? La question sera discutée, lundi 15 et mardi 16 février, à N’Djamena, au Tchad, au sujet du déploiement de l’armée française au Sahel dans le cadre de l’opération « Barkhane ».

Il y a un an à Pau, en janvier 2020, après l’envoi d’un ultime renfort de troupes, Emmanuel Macron avait promis de faire un état des lieux de l’engagement français dans la région, avec les chefs d’Etat du G5 Sahel (Burkina Faso, Mali, Tchad, Niger, Mauritanie). Après huit ans de guerre, ce rendez-vous – à distance, par visioconférence, pour le président français du moins – avait été présenté comme la possible occasion d’annoncer des décisions couperet, dont un début de retrait de l’armée française. Le contexte s’avère cependant plus complexe que prévu.

La question de « l’ajustement du dispositif » et de ses « modalités »« sera discutée au cours des prochaines semaines ou mois avec nos partenaires », indiquait-on ainsi prudemment, jeudi, à l’Elysée. Sur ce genre de dossier, le chef de l’Etat a habitué ses collaborateurs à des revirements de dernière minute. Rien n’est donc à exclure. Mais l’élan se révèle bien plus ténu que celui qui était porté, notamment par l’état-major des armées, depuis fin 2020. « On a fait le tour du cadran (…). Dès que je pourrai limiter le niveau d’engagement de mes armées, je le ferai », avait défendu le général François Lecointre, en décembre 2020.Article réservé à nos abonnés Lire aussi  Mali : avec les soldats français de l’opération « Eclipse » qui pourchassent les djihadistes liés à Al-Qaida

Jeudi, à l’Elysée, on s’est même risqué à annoncer vouloir « amplifier » la « dynamique » actuelle, en ciblant, dans les prochains mois, le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM, affilié à Al-Qaida au Maghreb islamique). En particulier son leader, le touareg Iyad Ag-Ghali et, ce qui est nouveau, son allié et chef de la katiba Macina, Amadou Koufa, très actif dans le centre du Mali. Depuis un an, l’armée française se concentrait sur l’organisation régionale rivale, l’organisation Etat islamique au grand Sahara (EIGS).

L’hypothèse d’un retrait a minima

Au cœur de cette valse-hésitation, se trouve une équation délicate pour l’exécutif. Celle de parvenir à mettre sur pied une stratégie d’enjambement de 2022, date de la prochaine présidentielle, alors que la situation sur le terrain au Sahel est tout sauf stabilisée. Le tout, dans un contexte d’exacerbation de la compétition stratégique mondiale et d’accroissement rapide des tensions sur d’autres théâtres, où Paris pourrait avoir à intervenir.

Différents scénarios sont sur la table. Celui d’un retrait conséquent et rapide d’une partie des quelque 5 100 soldats français déployés au Sahel (dont cinquante sont morts pour la France depuis 2013) pourrait satisfaire une partie des opinions publiques françaises et africaines, de plus en plus rétives à l’engagement prolongé de l’opération « Barkhane ». Mais il pourrait apparaître comme un lâchage en rase campagne d’Etats sahéliens encore fragiles.Article réservé à nos abonnés Lire aussi  Négocier avec les djihadistes ? Au Burkina Faso, une option de moins en moins taboue

L’hypothèse d’un retrait a minima, notamment des quelque 600 soldats envoyés en renfort il y a un an, est envisageable. Cela transmettrait un signal politique, mais sans changer fondamentalement la donne.

Face à l’accélération du calendrier, un certain nombre d’acteurs, notamment parlementaires, défendent la nécessité de poursuivre l’opération « Barkhane ». « Ce n’est pas le moment de dire “on s’en va” », plaidait, le 2 février, Hélène Conway-Mouret, l’ancienne ministre et actuelle sénatrice des Français de l’étranger. « Cela risque de laisser croire que l’on a fait huit ans de présence pour rien du tout », ajoutait-elle, tout en relevant la difficulté de parvenir à mobiliser les Etats sahéliens « sans leur laisser croire que tout est acquis ».

Accusations contre l’armée malienne

Les plus demandeurs sont les membres du G5 Sahel. Depuis janvier, le chef de l’Etat a reçu chacun de ses homologues à Paris – notamment le président de la transition malienne, Bah N’Daw, désigné en septembre 2020 par les militaires putschistes qui, quelques semaines plus tôt, avaient fait tomber le président Ibrahim Boubacar Keïta. Les membres du G5 peinent à se coordonner pour lutter ensemble et efficacement contre l’éparpillement de la menace djihadiste, au grand dam de Paris. Au sein de cette coalition, le Mali et le Burkina Faso restent les maillons faibles.

Côté français, on porte à bout de bras l’armée malienne en l’aidant à recruter, entraîner et payer ses troupes. Paris se réjouit notamment du fait que les soldats maliens ne désertent plus, comme en 2019, leurs casernes face aux assauts djihadistes. Mais les difficultés restent nombreuses. L’armée malienne est notamment accusée de violences contre les civils. Un rapport des Nations unies (ONU), rendu à la mi-2020, la considère comme possible responsable de « crimes de guerre » et de « crimes contre l’humanité ». Article réservé à nos abonnés Lire aussi  Au Sahel, « la guerre est transformée en business »

Dans ce paysage, la Minusma, la force de maintien de la paix de l’ONU, apparaît aussi toujours trop faible par rapport aux enjeux.

A titre d’exemple, elle ne dispose, à l’heure actuelle, pour tout le Mali, que d’une poignée d’hélicoptères de transport. Elle ne peut pas non plus déployer ses soldats les plus expérimentés, souvent européens, dans les zones du Mali les plus sensibles, autour de Mopti, Kidal ou Tombouctou, dans le centre et le nord du pays. Ils sont aujourd’hui cantonnés à l’Est, une région moins exposée, leurs états-majors respectifs refusant de les envoyer ailleurs, faute de moyens suffisants pour les évacuations sanitaires. Ce sont donc les unités asiatiques et africaines qui se retrouvent aujourd’hui en première ligne.

Questions sur la frappe du 3 janvier

Dans ce contexte difficile, Paris revendique des victoires militaires notables. Outre l’élimination, en juin 2020, du chef historique d’AQMI, Abdelmalek Droukdel, le 9 février, Christian Cambon, le président de la commission de la défense et des affaires étrangères du Sénat, a dévoilé le chiffre de 1 200 à 1 500 combattants de « groupes armés terroristes » « neutralisés », au Sahel en 2020, par « Barkhane ». Un chiffre en nette augmentation par rapport à 2019, et qui entraînerait une forte désorganisation des groupes armés sur le terrain, à défaut d’empêcher leur éparpillement jusque dans le golfe de Guinée.Lire aussi  Des enquêteurs de l’ONU sur les lieux d’une frappe aérienne française au Mali

Seule ombre au tableau sur le plan opérationnel : la frappe du 3 janvier à proximité du village de Bounti, dans la zone dite des « trois frontières » (Mali, Burkina Faso, Niger) où « Barkhane » concentre ses efforts depuis un an. Des témoins assurent que les bombes françaises se sont abattues sur un mariage et non sur des hommes armés. Les conclusions, à venir, de la commission d’enquête de l’ONU pourraient avoir un impact notable sur le déploiement français.Article réservé à nos abonnés Lire aussi  « La crise au Sahel est révélatrice de l’obsolescence des instruments de la coopération internationale », selon la politologue Niagalé Bagayoko

En attendant, et comme elle le fait depuis un an, la France devrait continuer de pousser ses partenaires européens à la rejoindre au Sahel, au sein de la task force « Takuba ». Les éléments des forces spéciales estoniennes, tchèques ou suédoises arrivent au compte-gouttes. Ils sont actuellement environ 400, selon les chiffres officiels.

L’Elysée soutenant coûte que coûte l’idée de développer une défense européenne robuste, Takuba est un symbole important – particulièrement dans la perspective de la présidence française du conseil de l’Union européenne, en janvier 2022.

Quoi que décide le chef de l’Etat à l’issue du sommet de N’Djamena, les experts considèrent que le désengagement éventuel de la France ne pourrait s’étaler que sur plusieurs années. L’annonce, jeudi, à l’Elysée, du nom du nouveau haut représentant de la coalition pour le Sahel, le Tchadien Djimé Adoum, qui siégera à Bruxelles, va dans ce sens.

Elise Vincent



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