Quel contrôle parlementaire sur les opérations extérieures ?

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La Constitution de 1958, qui a institué un parlementarisme rationalisé, atteste de la prééminence du pouvoir exécutif dans la décision de l’emploi des forces armées : le Président de la République est le « chef des Armées (article 15), tandis que le gouvernement « dispose de la force armée » (article 20).

Certes, la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, sans opérer de rééquilibrage égal des rapports institutionnels, a introduit deux mécanismes d’association du Parlement : un pouvoir d’information et un pouvoir de prolongation ex post. Dès lors, conformément à l’article 35 de la Constitution, celui-ci est informé de la décision du gouvernement de faire intervenir les forces armées à l’étranger. Sur ce point, précisions que ce devoir d’information, s’inspirant de la loi américaine sur les pouvoirs de guerre (le « War Power Resolution Act » de 1973) qui impose au Président de préciser à la fois les motifs, l’étendue et les modalités de l’action entreprise, s’en tient en France aux seuls « objectifs poursuivis » de l’intervention en question. Le Parlement doit ensuite être sollicité pour donner son approbation en cas de prolongation de l’intervention au-delà de quatre mois. Alors que la lettre de la Constitution dispose, dans son article 24, que le Parlement « contrôle l’action du gouvernement », ce contrôle en matière de sécurité et de défense se limite donc à un seul et unique vote, a posteriori du lancement d’une opération extérieure (OPEX). À titre de comparaison, dans le cas de l’intervention en Syrie en 2013, l’information du Parlement n’a été suivie d’aucun vote en France, quand elle a menée au rejet de la motion de David Cameron au Royaume-Uni. 

Faisant usage de cette prérogative de contrôle, le Sénat a récemment demandé la tenue d’un débat en séance publique sur le bilan et les perspectives de l’opération Barkhane au Sahel, après huit ans de présence française dans la région. Ainsi, les membres de la Haute assemblée ont-ils pu interroger les deux ministres des Armées et de l’Europe et des affaires étrangères.

Si les exigences de rapidité et d’efficacité de la chaîne de commandement sont mises en avant pour justifier la concentration du pouvoir décisionnel entre les mains du chef de l’État et le contournement de l’expression du Parlement, plusieurs facteurs plaident en faveur d’un contrôle parlementaire plus étroit sur les actions militaires, qui engagent notre pays à plus d’un titre.

D’une part, à l’heure où les fondements de nos démocraties sont fragilisés, où l’idée d’un  fossé de plus en plus grand séparant représentants et représentés se répand, et où un besoin de transparence se fait de plus en plus pressant à l’égard des décideurs publics, une plus grande implication du Parlement, enceinte privilégiée du débat public et contradictoire, permettrait de renforcer la légitimité de notre politique d’engagement hors de nos frontières au service de la sécurité de la population, française et plus largement européenne. Elle serait donc un facteur de légitimation, mais également d’une compréhension éclairée de la part de l’opinion publique des sacrifices, tant humains que financiers, induits par de telles interventions. Par ailleurs, comme le mentionnait déjà la loi de programmation militaire 2014-2019, une « pleine association des élus aux décisions concernant la politique de défense » renforcerait « le lien entre les armées et le pays ».

D’autre part, si le Parlement est amené à voter chaque année le budget de l’État, et plus particulièrement celui des Armées, celui-ci est régulièrement entamé par les surcoûts générés par les opérations extérieures. Ce phénomène est dû, depuis la fin de la Guerre Froide, à la multiplication des OPEX, devenues partie intégrante de la mission des Armées, dont « la durée, le durcissement, la dispersion géographique et la diversité » (selon l’ancien Chef d’état-major des armées de 2006 à 2010, Jean-Louis Georgelin) ont pour conséquence de déséquilibrer le budget de l’Hôtel de Brienne.  À titre d’exemple, en fin d’année 2020, 124 millions d’euros ont été annulés sur le programme relatif à l’équipement des forces (programme 146) par la loi de finances rectificative, au titre du financement du surcoût des opérations extérieures et missions intérieures. Pire encore, alors que l’article 4 de la loi de programmation militaire 2019-2025 a réaffirmé le principe de solidarité interministérielle pour le financement de ces surcoûts, le gouvernement a une nouvelle fois ignoré son engagement en faisant peser cette charge sur le seul budget du ministère des Armées.


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