Mon interview pour Public Sénat sur le projet « Pegasus »

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Après plusieurs mois d’enquête, plusieurs médias ont révélé au monde une affaire internationale de cyber-espionnage, le projet « Pegasus ». J’ai répondu aux questions de Jules Fresard pour Public Sénat.

Retrouvez l’article ci-dessous : 

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Dimanche 18 juillet, 17 médias ont révélé l’utilisation par plusieurs États d’un logiciel de surveillance israélien, capable de mettre sur écoute et absorber les données des téléphones portables de ses cibles. Parmi ces dernières, des militants pour les droits humains, mais aussi des avocats et des journalistes, à l’image d’Edwy Plenel.

Par Jules Fresard 

S’ils avaient en tête la figure de liberté qu’incarne Pégase, cheval ailé de la mythologie grecque, quand ils ont choisi de nommer leur logiciel, les ingénieurs de la société israélienne NSO Group ont loupé leur parallélisme. Car en développant Pegasus, ces derniers ont mis sur pied un des logiciels de surveillance les plus intrusifs, qui une fois implanté dans le téléphone de la victime, est capable d’écouter ses appels, aspirer ses photos et ses mots de passe, mais aussi lire ses messages, et ceci même sur des applications cryptées comme le sont WhatsApp ou Signal.

Une récente fuite de données, exploitée par 17 médias internationaux, dont le Washington Post et Le Monde, vient dorénavant mettre en lumière son emploi par de nombreux pays, soucieux de placer sous surveillance des journalistes, des avocats, des activistes ou encore des diplomates. « Si ces faits sont avérés, ils sont d’une extrême gravité » juge Christian Cambon, sénateur LR à la tête de la commission des Affaires étrangères du Sénat et président du groupe d’amitié France Maroc, un des pays épinglés pour avoir mis sur écoute Edwy Plenel, fondateur de Mediapart.

Plusieurs journalistes français surveillés par le Maroc

Mais il met en garde. « Que ceux qui apportent ces éléments apportent également les preuves qui vont avec. Quand on rapporte des faits d’une aussi grande gravité, il est nécessaire d’appuyer ses dires », avance-t-il. De sa propre initiative, il a, dès la publication de l’affaire, contacté l’ambassade du Maroc en France pour faire le point. « J’ai demandé des explications à l’Ambassade, qui dément ce genre de dispositif et nie avoir eu des liens avec l’entreprise mentionnée. Ils ont avancé que, déjà mis en cause en 2019 pour des faits similaires, ils avaient mis en demeure les journalistes d’apporter des preuves, ce qu’ils n’ont jamais eu ». « Il faut donc rester prudent, mais il est clair que si les faits étaient avérés, le groupe d’amitié France Maroc ne pourrait rester les bras croisés », conclut-il.

Didier Marie, sénateur socialiste de la commission des Affaires européennes trouve, lui, « extrêmement choquant que des pays amis comme le Maroc espionnent des personnalités françaises. Cela mérite que le gouvernement français réagisse fermement, et dénonçant et demandant des explications ». Selon les révélations du consortium réunissant 17 médias, en plus d’Edwy Plenel, le Royaume du Maroc aurait également mis sur écoute Lénaïg Bredoux, journaliste chez Mediapart, mais aussi Rosa Moussaoui, grand reporter à l’Humanité, qui travaille notamment sur les violations des droits humains au Maroc. Dominique Simonnot, ancienne journaliste du Canard Enchaîné et actuellement Contrôleuse générale des lieux de privation de liberté, ferait également partie des victimes. Mais les journalistes ne seraient pas les seuls touchés, puisque des « milliers » de numéros possédant l’indicatif français « + 33 » auraient été ciblés, incluant des élus, des diplomates… permettant « au Maroc, pour un tarif modique, de cibler, en quelques clics, des pans entiers de notre appareil d’État », fait savoir Le Monde.

« Ces révélations viennent mettre en avant un fait qui était connu de beaucoup de personnes, mais qu’on préférait ignorer. Je suis ravie qu’il y ait enfin cette prise de conscience sur ces mises sur écoute massives. On avait tendance à ignorer cela avant, quand ces pratiques étaient dévoilées dans des régimes autoritaires. Et puis là on se rend compte que cette surveillance individuelle, concerne aussi les pays démocratiques ou amis. Heureusement que les ONGs et les médias sont encore là, et ont le courage de sortir ces affaires », analyse Hélène Conway-Mouret, sénatrice socialiste et membre de la commission des Affaires étrangères.

Une fuite de données massive

Initialement développé pour lutter contre le terrorisme, le logiciel Pegasus, commercialisé par la société NSO Group, semble donc, au regard des victimes potentielles identifiées, être largement détourné par les États qui en sont détenteurs, afin de viser journalistes, avocats, activistes, vus comme une nuisance.

Avec l’appui des organisations Forbidden Stories et Amnesty International, 17 rédactions déployées dans le monde ont pu bénéficier d’une fuite de données contenant 50 000 numéros de téléphone, « présélectionnés par certains clients de NSO Group pour une éventuelle mise sous surveillance ». Sur les 67 téléphones analysés dont le numéro faisait partie de la liste initiale, 37 d’entre eux possédaient des traces du logiciel Pegasus.

« On peut d’abord se féliciter de la liberté de la presse, car on voit que quand des médias unissent leurs forces, leurs compétences, on arrive à sortir des affaires comme celles-ci », salue Didier Marie. Avant d’avancer « il y a ici une question de fond, sur la sécurité et l’espionnage. On a une fois de plus une société privée, qui vend des logiciels espions, et les commercialise en toute impunité. Les États les achètent, puis les détournent. Cela pose une vraie question de droit international » juge-t-il.

La Hongrie, seul État européen présent sur la liste

Ces pratiques, caractérisées par la mise sur écoute de personnalités jugées défavorables au pouvoir en place, ont lieu même au sein de l’Union Européenne, selon les révélations du « Projet Pegasus ». La Hongrie de Viktor Orban aurait ainsi également eu recours à ces procédés, en utilisant le logiciel israélien pour mettre sur écoute Andras Szabo et Szabolcs Panyi, deux journalistes du site d’investigation Dirket36. Au total, plus de 300 numéros auraient été présélectionnés en tant que cible potentielle par la Hongrie.

Un exemple, s’il en fallait un, des largesses prises avec l’état de droit de la part de Viktor Orban, qui défraie régulièrement la chronique à grands coups de lois liberticides, la dernière en date interdisant toute représentation de l’homosexualité dans l’espace public, assimilée dans le texte de loi à la pédophilie. « Seule la Hongrie est citée au niveau européen dans cette affaire, ce qui signifie qu’elle se considère hors les clous et avec une vision différente de l’état de droit. Si ces révélations sont véridiques, c’est scandaleux, inadmissible et complètement anormal » s’émeut Jean-François Rapin, président LR de la commission des Affaires européennes.

Il émet la possibilité de mettre en place des sanctions contre Budapest, tout comme Didier Marie, lui aussi membre de la commission des Affaires européennes. « Le gouvernement de M. Orban se met de plus en plus en marge de l’Union Européenne. La Commission comme les États membres doivent sévir à son égard, la plus efficace des sanctions étant financière. Il faut absolument assortir le versement de fonds européens au respect de l’État de droit. Il faut que la sanction tombe », appelle-t-il de ses vœux.

Des révélations reçues comme une onde de choc, mais qui ne font en réalité qu’appuyer les craintes concernant un système d’écoute généralisé de la part d’États. En 2013, Edward Snowden avait rendu publique la mise sur écoute de la part des États-Unis de Angela Merkel et de François Hollande. Les 17 médias membres du Projet Pegasus ont fait savoir que durant la semaine, les noms d’un chef d’État et de deux chefs de gouvernement européens mis sur écoute avec le logiciel israélien allaient être dévoilés. Pouvant potentiellement transformer l’onde de choc en cataclysme.


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