Bien que l’examen du projet de loi de finances pour 2022 se soit arrêté au Sénat – suite à la décision, que je regrette, de la majorité sénatoriale de rejeter l’ensemble de la première partie du texte – nous avons, avec mon co-rapporteur – présenté notre rapport budgétaire sur le programme relatif à l’équipement des forces à la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées qui est publié sous la forme d’un rapport d’information après son approbation par la commission.
Cette discussion demeurait nécessaire, puisque si le budget présenté pour 2022 est certes conforme à la trajectoire financière fixée par la loi de programmation militaire (LPM) 2019-2025 pour la quatrième année consécutive, le gouvernement a procédé à certains ajustements en cours d’année 2021 qui impactent nos Armées, et cela sans passer par la loi, ce qui était pourtant prévu par l’article 7 de la LPM.
Mon collègue est revenu sur les conséquences de l’actualisation sur les programmes à effet majeur (tels que Scorpion) et sur la stratégie d’exportation « en cycle court » menée par le gouvernement, consistant à prélever des matériels sur nos propres forces – à l’instar du prélèvement de 12 Rafale d’occasion (6 en 2021 et 6 en 2022-2023) au profit de la Grèce combiné à la perspective du contrat d’export avec la Croatie mettant en péril l’objectif fixé à 129 Rafale pour l’Armée de l’air et de l’espace en 2025 – ou sur nos propres commandes avec la vente de trois frégates de défense et d’intervention à la Grèce conduisant à décaler les livraisons à la Marine nationale.
Pour ma part, m’étant particulièrement attachée à la dimension « à hauteur d’homme et de femme » de la LPM lors de son vote en 2018, je suis intervenue sur les conséquences de l’actualisation sur les autres opérations d’armement (ou AOA), moins coûteuses et donc moins visibles, mais non moins essentielles à la protection de nos soldats. Celles-ci ont été ajustées à la baisse, avec une diminution de 5% par an entre 2022 et 2025 par rapport aux prévisions initiales (ce qui représente 335 millions d’euros sur quatre ans). Enfin, j’ai évoqué les pierres d’achoppement de plusieurs programmes d’armement menés en coopération européenne, notamment le probable recul de livraison du démonstrateur du système de combat aérien du futur (le SCAF) à 2027 ; la mise à l’arrêt du char de combat du futur (le MGCS) ; ou bien la remise en cause du programme d’avion de patrouille maritime franco-allemand qui devait remplacer l’Atlantique 2 à l’horizon 2035. Le choix politique d’avoir tout misé sur le franco-allemand risque fort de mettre un coup d’arrêt à notre promotion de la défense européenne et de l’autonomie stratégique qui l’accompagne.
Retrouvez le texte de mon intervention ci-dessous :
« Le Gouvernement a refusé d’assumer les engagements de la LPM dans la durée en ne procédant pas à son actualisation par la loi ; cela n’est pas de bon augure pour la conformité de l’exécution de la LPM dans sa seconde phase, qui démarrera en 2023. Nous avons toujours su que cette phase serait critique, puisque le Gouvernement a choisi, dès le départ, de reporter une part substantielle de l’effort au-delà des échéances électorales.
Cédric Perrin a évoqué les décalages subis, du fait de l’actualisation, par certains programmes à effet majeur (PEM). Mais il ressort également de nos auditions et de l’analyse de ce budget pour 2022 que les ajustements ont porté sur les autres opérations d’armement (AOA), moins visibles et sans doute plus facilement « sacrifiables » que les grands programmes.
Ces AOA continueront à augmenter, mais dans une moindre mesure que ne le prévoyait la LPM. L’ajustement de 5 % représente un manque à gagner de 335 millions d’euros sur quatre ans ; cela est loin d’être négligeable, sachant que le total des AOA s’élève à 1,4 milliard d’euros en 2021. Or, ces AOA sont garantes de la dimension « à hauteur d’homme » de la LPM et permettent de maintenir la cohérence d’ensemble de l’effort.
Concrètement, pour l’armée de terre, cela engage des programmes tels que les jumelles de vision nocturne, l’armement du combattant ou encore les nano-drones ; il s’agit aussi de la protection des soldats. La marine compte également beaucoup sur les AOA pour assurer le renouvellement d’équipements de moindre dimension, tels que des remorqueurs ou des vedettes, nécessaires à la cohérence d’ensemble du format.
Notre rapport pointe les risques qui pèsent sur plusieurs programmes fondamentaux menés en coopération européenne – notamment franco-allemande -, avec des calendriers électoraux qui s’additionnent et multiplient les incertitudes.
Si des coopérations comme CaMo – coopération Capacité Motorisée -, avec la Belgique, semblent créer une dynamique favorable à la possible structuration d’une « communauté Scorpion » en Europe, d’autres programmes nous inquiètent davantage. Le programme de drone MALE européen se poursuit tant bien que mal, mais il est d’ores et déjà acquis que l’objectif de huit systèmes de drones MALE en 2030 ne sera pas atteint. Or, il est évident que cette capacité, déjà indispensable en opérations militaires extérieures de la France (OPEX), le sera encore davantage à l’avenir. Comment compensera-t-on ce manque ?
Concernant le système de combat aérien du futur (SCAF), un accord intergouvernemental a été signé cette année, après le feu vert donné par le parlement allemand. Des difficultés en matière de répartition industrielle et de propriété intellectuelle ont été levées suite aux auditions de la commission.
Mais tout n’est pas résolu, loin de là. Le lancement de la phase 1B du démonstrateur demeure en négociation ; je rappelle que ce démonstrateur devait, dans un premier temps, être livré pour 2025, et que l’on parle désormais d’une livraison pour 2027. Le blocage du programme de char de combat du futur (MGCS), politiquement lié au SCAF, et les informations faisant état d’un possible intérêt de l’Espagne pour le F35, sont venus augmenter les incertitudes déjà grandes dans ce dossier. Une mission s’est déplacée en Espagne ; peut-être que les collègues ayant participé à cette mission pourront s’exprimer.
Au sujet du MGCS, il n’a pas été approuvé par le Bundestag. Ce programme est actuellement à l’arrêt et nécessite toute notre vigilance, de même que le programme CIFS dédié à l’artillerie du futur, dont les échéances sont reportées.
Le Tigre standard 3 va démarrer en franco-espagnol, faute d’un engagement allemand, ce qui signifie qu’il faudra sans doute réduire le nombre d’hélicoptères français modernisés. Quant au programme d’avion de patrouille maritime franco-allemand, il est remis en cause par l’achat, côté Allemands, de cinq avions P-8A Poseidon de Boeing. Nous devons avancer rapidement, car il s’agit de remplacer l’Atlantique 2 ; ce remplacement, impératif d’ici à 2035, nécessite un lancement en réalisation au plus tard en 2026.
Le contraste est frappant entre, d’une part, une dégradation rapide du contexte stratégique ainsi qu’une évolution de la conflictualité qui imposent une modernisation accélérée, et, d’autre part, des programmes en coopération européenne dont les jalons sont sans cesse repoussés.
Si nous sommes satisfaits du respect de la trajectoire de la LPM, nous devons rester vigilants sur le renouvellement des équipements et la protection de nos soldats. »