La réforme des retraites : vice du « en même temps »

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Alors qu’ont débuté en commission, ce lundi 30 janvier, les premiers débats à l’Assemblée nationale sur la réforme des retraites, je souhaitais partager avec vous mon avis sur cette réforme et mon opposition au texte tel qu’il est présenté aujourd’hui, en espérant que le gouvernement fera l’effort d’écouter et surtout d’entendre le parlement et la rue. 

D’abord, la précipitation avec laquelle le texte est présenté et doit être examiné est incompréhensible. Alors que cela fait six ans qu’il est dans les tuyaux, comment expliquer qu’il contienne autant de carences, à commencer par les grandes oubliées que sont les femmes, c’est à dire la moitié de la population ? Pourquoi aussi une telle hâte puisque dans son rapport de 2021, le Conseil d’orientation des retraites (COR) a déclaré que « malgré le contexte de la crise sanitaire et le vieillissement progressif de la population française, les évolutions de la part des dépenses de retraite dans le PIB resteraient sur une trajectoire maîtrisée à l’horizon de la projection, c’est-à-dire 2070 ». Mieux encore, en 2022, le système des retraite dans notre pays a été excédentaire de 3 milliards d’euros.

Alors pourquoi vouloir s’entêter à mettre en œuvre une réforme dont 80% des Françaises et Français ne veulent pas ? Pourquoi mépriser les recommandations d’un panel d’experts (le COR) avec, je dois le dire, une désinvolture qui restera comme la marque de fabrique des différents gouvernements d’Emmanuel Macron ? Pis encore, comment peut-on imaginer une seule seconde qu’un texte d’une importance aussi capitale puisse être adopté avec la menace du recours aux articles 47.1 et 49.3 de la Constitution afin d’abroger la durée des débats et appliquer sans concertation le texte tel que l’a voulu le gouvernement ? En tant que parlementaire, nous commençons à y être certes habitués… Mais sans doute, la réponse réside-t-elle dans le fait que le gouvernement, avec la complicité de la droite d’Eric Ciotti, travaille à réformer les retraites non pas pour éviter un déficit incontrôlable mais pour façonner un avenir auquel il aspire, un futur conforme à une idéologie pourtant totalement dépassée…

Gardons à l’esprit que pour la majorité des Français il s’agit de conserver « un peu de temps de vivre« . Cette réforme concerne d’abord des gens qui, toute leur vie, ont travaillé dans des conditions parfois difficiles. Emmanuel Macron avait déclaré en 2019, dans son discours de Rodez : « Moi je n’adore pas le mot de ‘pénibilité’, parce que ça donne le sentiment que le travail c’est pénible » pour justifier la suppression en 2017, par ordonnance (cela ne s’invente pas), du compte personnel de prévention et de pénibilité (C3P) au profit d’un compte personnel de prévention (C2P). Exit donc la pénibilité au travail. Les métiers du soin, de la restauration, de l’agriculture, du bâtiment, du transport, de la manutention, de la construction, du ménage et des soins à domicile… oui, ces métiers demandent un engagement physique et sont pénibles.

Mais la Première ministre, Elisabeth Borne, persiste et signe ; cette réforme des retraites s’inscrit « dans la poursuite du progrès social« . Il est fascinant d’observer comment certains membres de ce gouvernement continuent à se présenter progressistes… Cette réforme ne l’est certainement pas, en particulier pour celles et ceux qui ont commencé à travailler tôt et qui ont des dites « carrières longues » – employés, ouvriers, aidants – pour lesquelles cette réforme repoussera l’âge légal de départ à la retraite de 60 à 62 ans. Les mêmes catégories professionnelles dont l’espérance de vie est de 7 ans inférieure à celle des cadres. Cela laisse songeur sur la conception de la justice sociale par la majorité présidentielle…

Notons cependant l’annonce d’une retraite minimum pour les carrières complètes autour de 85% du SMIC, soit environ 1100€ par mois. La proposition est bonne, mais demeurera une avancée sociale limitée aux personnes qui auront eu une carrière complète et donc limiter considérablement le nombre de bénéficiaires. En effet, les conditions à remplir pour bénéficier de cette pension sont drastiques. Il faut pouvoir justifier d’une carrière complète de plus de quarante ans, à temps plein et d’un niveau de salaire basé en moyenne sur le SMIC. Or, cela exclut toutes les personnes – en grande majorité les femmes – qui se sont arrêtées de travailler à un moment ou un autre. 

Cette réforme des retraites va également générer un choc de précarité pour les travailleurs séniors (55-64 ans). Chaque révision de l’âge légal de départ à la retraite a provoqué un pic des ruptures de contrats de travail des travailleurs de cette tranche d’âge. Celle proposée par Elisabeth Borne ne dérogera pas à la règle. De plus, n’oublions pas la récente réforme de l’assurance chômage qui va faire basculer dans la précarité les demandeurs d’emplois proche de l’âge de départ à la retraite. Ces derniers vont voir leur durée d’indemnisation du chômage rabotée de neuf mois et leur seul filet de sécurité sera alors constitué des minima sociaux. Mais effectivement, tout ceci est bien progressiste…

A ce recul social, s’ajoute un non-sens économique majeur : alors que le gouvernement estime à 8 milliards d’euros par an les économies engendrées par la réforme des retraites, on peut estimer à environ 5 milliards d’euros par an le surcoût des dépenses sociales liées au travail des séniors (RSA, pensions d’invalidité, arrêt de travail). Où est le retour sur investissement si je devais reprendre le langage macroniste ? Nulle part car cette réforme est mal préparée et à des années-lumière des réelles attentes des Français. Alors qu’ils réclament, à juste titre, une revalorisation de leur pouvoir d’achat, le gouvernement leur rétorque de travailler plus longtemps.

« On vit de plus en plus vieux en bonne santé » déclarait Emmanuel Macron en 2019. Si  cette affirmation est vraie, elle omet de mentionner celles et ceux qui vivent longtemps et en bonne santé. La réalité est autrement plus consternante. 84,4 ans est la moyenne d’espérance de vie des 5% des hommes les plus riches du pays. 71,7 ans est celle des 5% des hommes les plus pauvres. 13 ans d’écart ! 8 ans pour les femmes. Allons plus loin encore. Les plus pauvres d’entre nous passent sept années de moins à la retraite que les plus aisés. Avec cette réforme, selon les projections, les premiers perdraient encore deux ans. Sans parler du fait que 5% des travailleurs meurent avant d’arriver à l’âge de la retraite. Avec cette réforme, ce chiffre pourrait passer à 6,5%, soit 9000 personnes en plus chaque année. Consternant vous disais-je..

Enfin, cette réforme des retraites entend acter la fin des régimes spéciaux. Si ces régimes sont spéciaux, ce n’est pas parce qu’ils seraient le lieu de privilèges mais parce qu’ils fonctionnent sur la base d’une solidarité restreinte à une profession ou une entreprise qui ont pris en compte une certaine forme de pénibilité. Ce sont ces régimes spéciaux qui ont veillé à maintenir l’équilibre nécessaire entre la vie au travail et la vie à la retraite en bonne santé.

Alors oui, cette réforme est profondément injuste. Injuste pour les travailleurs les plus précaires. Injuste pour les femmes. Injuste pour les prochaines générations. Les Français vivant à l’étranger en sont les grands absents. Cette réforme est d’autant plus régressive qu’il est insupportable de l’entendre être défendue par des calculs budgétaires et des logiques comptables alors que nous légiférons sur ce que nous avons de plus intime, la dernière partie de nos vies. La protection de nos acquis sociaux et la défense d’un certain idéal sont nos combats. Nous les mènerons au parlement pour un texte plus équilibré, bâti sur la solidarité, la justice sociale et l’égalité. 


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